Economie et société : comprendre le nouveau capitalisme
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Ce blog va bientôt cesser d'exister, tout du moins de manière autonome. Le blog de l'Observatoire Société et Consommation
(L'ObSoCo) prend progressivement la suite. D'ores et déjà les archives de ce blog y ont été transférées et chaque nouveau billet posté ici est également publié sur le site de l'ObSoCo.
Je partagerai le blog de l'ObSoCo avec Nathalie Damery et Robert Rochefort, qui ont fondé avec moi l'Observatoire Société et Consommation, ainsi qu'avec l'ensemble des membres du Cercle de
l'ObSoCo... A suivre !!
En 5 minutes, Télématin retrace 60 ans de consommation. Que de chemin parcouru ! Il est bon de rappeler aux esprits chagrins ce que l'on doit au capitalisme industriel et au modèle productiviste... Mais comment ne pas voir la nécessité d'écrire aujourd'hui une nouvelle page ?
The Conversation a publié les textes reprenant les propos tenus par les membre du Cercle de l'ObSoCo durant le colloque "Dé-penser la consommation" qui s'est tenu le 26 janvier 2017. Merci à The Conversation, l'ESCP, le master MECI de Paris Diderot, le Ladyss et le groupe La Poste.
Moustic, The Audio Agency, a produit les podcats des contributions. Pour accéder à l'ensemble des podcasts : cliquer ici.
Consommer autrement, mieux, moins ? Le 26 janvier dernier, L’Obsoco organisait à l’ESCP Europe une journée de réflexion sur le thème « Dé-penser la consommation ». Partenaire de ce colloque, The Conversation publie les différentes interventions des chercheurs participants. Des podcasts du colloque, réalisés par Moustic The Audio Agency, sont à découvrir à la fin de chaque article.
Au cours de la dernière décennie, économistes et psychologues ont été de plus en plus nombreux à se pencher sur les ressorts du bonheur ou, à tout le moins, du « bien-être subjectif ». Ils convergent en général autour de l’idée que, passé un certain seuil, l’accroissement de la richesse à l’échelle d’un pays a, au pire, un effet nul, au mieux, un effet limité sur le sentiment de bien-être de la population.
À cette limite endogène des promesses de la société de consommation s’ajoute avec de plus en plus d’évidence l’impasse écologique à laquelle mène la logique du « toujours plus ».
Faut-il pour autant rejeter en bloc la consommation et promouvoir la frugalité ?
Deux façons d’envisager le bonheur
Outre qu’elle reviendrait à négliger le rôle de la consommation dans le circuit économique, la radicalité d’une telle posture pêche par son manque de nuance.
Toutes les consommations ne se valent pas, tant sur le plan de la contribution au bien-être individuel que sur celui de l’impact environnemental et sociétal. Sur ce dernier point, l’écoconception, l’agriculture bio ou « raisonnée », les circuits courts, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité… sont autant de pistes qui montrent la voie d’une « bonne » consommation.
Sur la capacité de la consommation à contribuer au bien-être individuel, les travaux précurseurs de l’économiste Tibor Scitovsky invitent à penser que, si certaines consommations échouent à produire un surcroît de bien-être subjectif durable, d’autres ont la faculté de contribuer à l’épanouissement des personnes.
Les travaux de recherche récents, reprenant les termes d’un débat qui opposait déjà les philosophes antiques, insistent sur la distinction qu’il convient d’opérer entre deux approches du bonheur. Le bonheur « hédonique » réside dans la maximisation des plaisirs et la minimisation des peines. C’est celui-ci qui, dans son rapport à la consommation, semble être voué à la saturation dès lors qu’un certain niveau de vie a déjà été atteint et qui condamne à une fuite en avant dans le « toujours plus » pour tenter d’entretenir la flamme.
Le bonheur « eudémonique », lui, passerait par la découverte et le développement par chacun de son « daimon », c’est-à-dire de sa nature profonde, de ses dispositions, de ses talents, de ses goûts. Autrement dit, un bonheur qui passe par la réalisation personnelle, le développement de soi, le sens donné à la vie. Cette approche humaniste du bonheur – qui n’exclut pas le plaisir hédonique – ouvre des perspectives intéressantes pour dessiner les contours d’une « bonne » consommation.
Le souci de l’expérience
Les marques et les enseignes qui œuvrent sur les marchés de la consommation ressentent de plus en plus clairement les limites d’un modèle, issu du capitalisme industriel, qui repose avant tout sur l’« avoir ». Leur engagement dans des approches « expérientielles » témoigne d’une certaine prise conscience de l’intérêt de déplacer le centre de gravité de la relation marchande de l’« avoir » à l’« être ».
Autrement dit, ne pas se contenter de « faire la vente », mais se soucier de faire vivre au client une « expérience », c’est-à-dire un moment valorisé, parfois mémorable, contribuant à transformer la personne. Ce souci de l’expérience ne doit pas se limiter – comme c’est malheureusement trop souvent le cas – à l’expérience d’achat, dans le but de stimuler le désir d’acheter.
Il doit s’étendre à l’expérience de consommation, c’est-à-dire aux moments où le client s’efforce de jouir des effets utiles potentiellement contenus dans son achat. Il reste encore énormément à faire dans cette direction, notamment en centrant la relation commerciale sur la coproduction avec le client de solutions à des problèmes ciblés. Cette perspective est d’autant plus attrayante que, en mettant l’accent sur la finalité de la consommation plus que sur les moyens matériels permettant de l’atteindre, on entrevoit des business models (tels que l’économie de la fonctionnalité) dans lesquels la rentabilité dépend des économies en ressources naturelles.
Exprimer ses facultés
Le psychanalyste Erich Fromm, dès 1976 dans Avoir ou être, mettait en avant que le « mode être » se caractérise par le fait d’être en activité, d’employer « les pouvoirs humains », d’exprimer ses facultés. Autrement dit, « être » passe par « faire ».
Le bien-être eudémonique découlerait ainsi de l’engagement dans des activités qui mobilisent les compétences et les talents de la personne qui en tire alors à la fois la satisfaction de l’exploitation de ses potentialités et le développement de ses compétences par l’usage.
Le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi est à l’origine d’un vaste ensemble d’études qui se sont attachées à définir les caractéristiques des activités susceptibles de produire un état de « flow », c’est-à-dire un état mental marqué par une absorption de l’individu dans l’activité, générateur d’un sentiment de plénitude, et dont il ressort grandi. L’expérience du flow et des bénéfices sur la structuration du soi peut se vivre dans l’exercice de l’activité professionnelle.
De fait, eu égard à l’importance de la part de la vie qui est consacrée au travail et au rôle des identités professionnelles dans la construction et l’image de soi, ce qui se « fait » au travail est essentiel. Mais, plus proche des problématiques de consommation, l’état de flow et, plus généralement le bien-être eudémonique seraient souvent le produit des activités de loisirs.
Comment ne pas être frappé par l’engouement croissant des populations des pays riches pour les activités qui impliquent de « faire » : à l’essor déjà ancien des pratiques sportives et artistiques s’est plus récemment ajouté l’engouement pour le bricolage, le jardinage, la cuisine, la couture, les loisirs créatifs, la création d’objets… Comme si les individus, désorientés face à un monde déboussolé, cherchaient dans le « faire » une forme de consolidation de leur identité, un sentiment d’autonomie, une réponse à leur quête de sens et, bien souvent, des opportunités de lien social authentique fondé sur des centres d’intérêt partagés.
Avec l’Observatoire du faire lancé par l’ObSoCo en 2016, nous avons voulu en savoir plus, à la fois sur le degré et les formes d’engagement des Français dans le « faire » et sur ses effets sur le bien-être. 24 activités de loisirs actifs ont ainsi été passées au crible. Elles partagent de conduire les pratiquants à produire un résultat : un artefact physique (bricolage, jardinage, fabrication/restauration d’objets…), une performance (sports, théâtre, danse…), une « œuvre » (création musicale sur ordinateur, arts graphiques, écriture…)…
Des activités qui contribuent au bien-être
Trois résultats principaux émergent des données recueillies.
Premièrement, les Français sont massivement investis dans le « faire ». Pas moins de 93 % des quelque 5000 personnes interrogées ont pratiqué au moins occasionnellement l’une des 24 activités étudiées au cours des 12 derniers mois. Parmi elles, 85 % (soit 79 % de la population totale) se déclarent « passionnées » par l’une au moins des activités pratiquées.
Deuxièmement, le degré d’engagement des individus dans le « faire » (appréhendé par le nombre d’activités pratiquées et la fréquence de la pratique, le niveau d’effort ressenti durant la pratique, le niveau autoévalué des compétences mobilisées…) est positivement corrélé à la fois au degré de satisfaction exprimée par les individus à l’égard de leur existence, à une mesure du niveau général de bien-être eudémonique, ainsi qu’au niveau de bien-être psychologique.
Troisièmement, les activités de loisirs actifs sont inégales dans leur capacité à contribuer au bien-être. Les plus performantes sur ce point sont celles qui répondent à des motivations intrinsèques (pratiquée davantage pour elle-même davantage que pour le résultat qui en est attendu), qui impliquent la créativité du pratiquant et qui lui permettent d’enrichir sa vie sociale. Mais plus encore, c’est le niveau d’investissement consenti par la personne dans l’activité qui détermine le niveau des gratifications qui en est issu.
Des gratifications et des efforts
Ces résultats soulèvent un paradoxe : pourquoi le « faire », en dépit de ses effets bénéfiques, n’apparaît-il pas de manière générale comme une priorité dans la manière dont les individus allouent leur temps ? Pas seulement le partage entre temps de travail et de temps de loisirs, mais aussi entre les différentes activités de loisir.
Par exemple, pourquoi consacrons-nous en moyenne 3h40 par jour à regarder la télévision (soit plus de 40 % du temps non contraint), alors qu’il a été montré qu’il s’agit d’une activité conduisant souvent à l’apathie et qui est négativement corrélée au sentiment subjectif de bien-être ?
Une partie de l’explication réside sans doute dans le fait que les gratifications issues du « faire » réclament un investissement préalable dans des compétences de base, dont l’apprentissage, parfois ingrat, réclame un effort. La valeur consumériste du plaisir facile et immédiat s’oppose à l’engagement de l’effort susceptible de déboucher le cercle vertueux qui lie les gratifications retirées de l’activité à un surcroît d’investissement. Il est effectivement plus facile, surtout après une dure journée de travail, de s’affaler devant sa télévision que d’apprendre à jouer du violon…
Il y a donc un enjeu de politique publique associé à la promotion du « faire ». L’Observatoire du faire confirme que c’est souvent durant l’enfance que se font les premiers pas vers des activités qui peuvent donner du sens à une vie entière. Il convient donc de réfléchir aux moyens de multiplier les occasions de contact, à tous les âges de la vie, avec des activités susceptibles de révéler à chacun ses goûts et ses dispositions.
Se préparer à l’avenir
Et si la puissance de séduction de marketing s’exerçait au profit de la promotion du « faire » ?
Selon nos estimations, le marché du « faire » (matériel, fourniture, services…) s’élève à environ 95 milliards d’euros, soit deux fois plus que le marché de l’habillement et de la chaussure. Certaines grandes entreprises se sont déjà (re-)positionnées dans cette direction, dans le bricolage et la décoration, le jardinage, la cuisine ou les loisirs créatifs, notamment.
Elles se soucient alors de promouvoir des produits simples à utiliser ; elles ont compris l’importance d’accompagner leurs clients dans l’apprentissage des compétences de base, par la production de didacticiels, la diffusion de vidéos, l’organisation des cours. Les plus hardies accompagnent leurs clients dans la pratique en leur donnant accès aux infrastructures et équipements nécessaires (voir les Décathlon Villages ou le TechShop de Leroy Merlin) ou prennent part à l’animation de communautés de pratiquants. Les médias commencent aussi à percevoir les attentes latentes en la matière qui, de Top Chef, à The Voice en passant les Prodiges ou _ À vos pinceaux _ valorisent la pratique amateur.
Orienter le modèle de consommation de l’« avoir » vers le « faire » serait de nature remettre la consommation au service des bien-être. C’est sans doute aussi une manière de nous préparer à ce que l’avenir, peut-être, nous prépare.
L’Observatoire du faire montre sur les personnes les plus engagées dans le « faire » sont aussi les moins sensibles aux valeurs matérialistes ; si « faire » est associé à des consommations marchandes qui pourraient devenir des relais de la croissance économique, ses adeptes sont naturellement plus disposés à un mode de vie plus frugal que la crise écologique risque de nous imposer.
De même, si les prévisions de destructions d’emplois massives liées au déploiement de la robotisation et de l’intelligence artificielle devaient s’avérer, la place du travail dans la structuration des sociétés occidentales devra être révisée. Quel usage sera fait alors du temps disponible si le « mode avoir » continue de dominer le « mode être » ? Les adeptes du « faire », eux, sauront quoi faire du temps libéré.
Dé-penser la consommation : « Pour une bonne consommation » par Philippe Moati. Obsoco/Moustic, CC BY-NC-SA48 Mo(download)
L’Observatoire du rapport au prix publié en octobre 2014 par l’ObSoCo met en lumière la perte de repère que les Français éprouvent à l’égard des prix.
LES PRIX FONT L’OBJET D’UNE SUSPICION CROISSANTE
Si 70% des Français estiment être très satisfaits de la multiplication des opportunités de faire des bonnes affaires …
… 76% considèrent qu’acheter un produit au bon prix devient de plus en plus compliqué.
82% affirment que cette démultiplication d’offres les amène à s’interroger sur la signification des prix « normaux » ne bénéficiant d’aucune promotion.
UNE INTERROGATION QUI IMPACTE LA CONFIANCE DES CONSOMMATEURS A L’ÉGARD DES COMMERÇANTS
65% des personnes interrogées estiment ainsi que les produits bénéficiant d’un rabais important pendant les soldes sont souvent des produits mis en rayon spécialement pour les soldes. 73% considèrent que le prix initial a été gonflé en prévision des soldes afin de pouvoir continuer à faire des bénéfices malgré la décote. Résultat plus frappant encore : près de 80% des individus interrogés considèrent que les commerçants continuent à être rentables même lorsqu’ils proposent un produit à -50%.
Ces résultats confirment la perception de prix artificiellement gonflés pour pouvoir ensuite supporter une remise significative durant la période des soldes tout en continuant à faire des bénéfices.
"Durant les périodes de soldes, il n’est pas rare de trouver des articles à moins 50%. Dans quelle mesure êtes-vous d’accord avec les propositions suivantes ?"
D’accord
Pas d’accord
Sans opinion
A ce prix-là, le commerçant vend surement à perte
15%
79%
5%
Le prix initial a été augmenté pour pouvoir le réduire ensuite tout en continuant de faire un bénéfice
73%
21%
6%
Les produits qui bénéficient d’un rabais important pendant les soldes sont des produits qui ont été mis en rayon par les commerçants spécialement pour les soldes
65%
28%
7%
Source : L’ObSoCo, 2014
L’attitude des consommateurs à l’égard des pratiques promotionnelles est ambiguë. Si la multiplication des offres promotionnelles génère bien un gain d’attention de la part des consommateurs, elle provoque également un questionnement quant à la justice des prix habituellement proposés – questionnement qui tend manifestement à se développer avec l’intensification de la contrainte budgétaire.
Une petite vidéo pédago dans laquelle je présente quelques biais cognitifs contribuant à expliquer pour une grande majorité de Français ne perçoit pas le recul de l'inflation et, moins encore, la baisse des prix des produits de grande consommation.
Voilà bien longtemps que je ne m'étais pas livré à l'exercice de la vidéo...
La perspective de voir capoter le principe d'une expérimentation de l'affichage du prix d'usage des produits - principe contenu dans la loi sur la consommation - me conduit à prendre la parole pour tenter de mobiliser autour de l'intérêt de la démarche.Faite circuler...
L'ObSoCo vient de publier la première édition de son Observatoire du rapport au prix. Nous y reprenons et approfondissons les grands thèmes abordés de notre étude sur le prix juste conduite en 2008 au Crédoc : la compréhension que les Français ont des mécanismes de formation des prix, leurs conceptions de ce qu'est un prix juste... mais aussi leur évalution des marges des distributeurs, le prix juste d'un produit d'occasion ou d'une location par rapport au prix du neuf, les réactions aux dispositifs promotionnels...
Les résultats sont passionnants, riches d'enseignements à la fois généraux (sur la psychologie des consommatieurs, les biais de perception, le rôle des émoitions et des valeurs dans les choix économiques...) et opérationnels (comment communiquer sur ces prix, les bonnes et les mauvaises manières de mener une discriminatin tarifaire, l'intérêt d'objectiver la qualité des produits...).
Nous avons publié un 4 pages qui présente quelques résultats généraux pour alimenter le débat public. Le rapport complet est en vente (eh oui ! il faut bien amortir les frais...). L'élément principal que j'en retiens personnellement est que, si le contexte du pouvoir d'achat invite les consommateurs à se montrer plus sensibles aux prix, lls sont aussi très nombreux à déclarer faire davantage attention à la qualité. Il se confirme que le prix juste n'est pas le prix le plus bas. Une nouvelle manifestation de cette montée d'une aspiration à consommer mieux qui ouvre la voie au renouvellement du modèle de consommation.A méditer dans le contexte actuel de guerre des prix et de surenchère promotionnelle...
Voici le résumé du 4 pages, que vous pouvez télécharger dans son intégralité en cliquant ici :
Alors que la guerre des prix bat son plein, la complexité croissante des politiques tarifaires des marques et des enseignes engendre une perte de repères chez les consommateurs. La multiplication des dispositifs promotionnels interroge sur la signification des prix « normaux », sur le montant et la légitimité des marges bénéficiaires des vendeurs, quand elle n’est pas à l’origine d’une suspicion portant sur la sincérité des offres promotionnelles elles-mêmes. Le sentiment d’un décalage croissant entre le prix et la valeur « réelle » des produits se répand chez les consommateurs, alimentant la défiance à l’égard des acteurs de l’offre. L’Observatoire du rapport au prix de l’ObSoCo fait le point, entre autres, sur la manière dont les Français appréhendent ce qu’est un prix juste et dont ils réagissent aux politiques tarifaires des marques et des enseignes. Il ressort en particulier que le prix juste n’est pas le prix le plus bas. Pour autant, les prix des grandes marques sont souvent entachés de la perception de surcoût marketing et de marges excessives. Une demande d’offres de qualité est clairement perceptible. Elle est le pendant d’un sentiment très répandu de déception à l’égard de ce qui est consommé. Si le contexte du pouvoir d’achat renforce effectivement la sensibilité des consommateurs aux prix et induit des comportements d’ « achat malin », il semble que les consommateurs soient de plus en plus nombreux à considérer que le produit le moins cher n’est pas nécessairement une bonne affaire. A l’heure où plane l’ombre de la déflation, l’attrait exercé par la qualité constitue une voie de sortie par le haut.
L'Express m'a fait l'honneur d'une double page d'interview dans son numéro de cette semaine, dont la cover est consacrée aux nouveaux comportements de consommation.
Alors que les derniers chiffres publiés révèlent une nouvelle chute du marché automobile et que le gouvernement évoque la possibilité d'augmenter la fiscalité sur le gazole, je suis tombé par hasard sur des statistiques publiées par l'INSEE en novembre 2012 sur les modes de transport pour se rendre au travail. Le tableau (voir le tableau), bâti à partir des données du recensement, compare les données pour 2009 avec celles de 1999. A l'échelle de la France métropolitaine, on fait un constat qui devrait réjouire les écologistes : la part des actifs qui utilisent la voiture pour se rendre à leur travail recule de 71,3 % en 1999 à 69,6 % Recul modeste, certes, mais qui induit l'idée de l'amorce d'une évolution des pratiques de mobilité (confirmée à l'échelle de l'ensemble des déplacements par le recul du kilométrage parcouru par les automobilistes).
Mais les données agrégées sont trompeuses... L'observation des résultats par région aboutit à un tout autre constat.Le recul observé à l'échelle national est quasi-intégralement imputable à l'Ile-de-France. Alors que les Franciliens n'étaient dékà que 51,6 % à utliser leur voiture pour se rendre au travail, cette part est tombée à 42,1 % en 2009. Lorsque l'on connait les conditions de circulation et de stationnement en région parisienne, on ne s'étonne guère que la voiture soit de plus en plus délaissée pour les transports en commun (utilisés par 42,2 % des Franciliens (33,8 % en 1999)) et pour les "autres moyens" (on pense évidemment aux deux roues, motorisés ou non) dont le taux d'usage est lui aussi en croissance.
Une poignée de régions (celle qui acceuillent les plus grandes villes de province) connaissent elles-aussi un recul de l'usage de l'automobile, mais de façon beaucoup moins prononcée. Par exemple, la part des utilisateurs de l'automobile est passée de 74,8 % à 71,9 % en Provence-Alpes-Côte d'Azur et de 76,4 % à 73, 8 % en Rhôme-Alpes.
Dans 18 régions sur 22, la proportion d'actifs utilisant leur voiture pour se rendre au travail est en augmentation ! Et parfois, très sensiblement. La palme revient à la Basse Normandie, où cette proportion est passée de 75,4% à 79,1 % en 10 ans.
Alors que l'étalement urbain se poursuit, que l'étaliement des emplois rejoint l'étalement résidentiel, l'immense majorité des actifs se trouvent de fait prisionnier de l'automobile. Si l'objectif de réduire l'empreinte écologique de la mobilité est louable, il convient cependant de ne pas faire porter de manière excessive la charge de cet objectit sur le pouvoir d'achat et/ou la qualité de la vie quotidienne d'actifs qui ont déjà bien d'autres problèmes à gérer. Cela pour rappeler au gouvernement que, parallèlement aux politiques économiques et aux actions en faveur du développement durable, il doit rester de l'espace pour une politique des conditions de vie.
Laurent Faibis, le président du groupe Xerfi, m’a demandé ainsi qu’à d’autres économistes quels étaient mes trois grands vœux économiques pour 2013. Une série de vidéo sera prochainement diffusée sur Xerfi Canal. J’ai bien sûr été d’abord tenté de mettre en avant les grands sujets du moment, la gestion de la crise de l’euro, la politique budgétaire et les négociations syndicats-patronat :
Mais finalement, mes vœux vont porter sur des aspects qui renvoient aux conditions de vie, c’est-à-dire à la fois au niveau de vie et la qualité de la vie des Français. Certes, il s’agit de problématiques moins « chaudes », qui peuvent paraître moins importantes que ce qui relève de la politique macroéconomique, et qui de surcroît ne se prêtent pas à des mesures susceptibles de produire des effets spectaculaires à court terme. Pour autant, je suis convaincu qu’il y a derrière la question des conditions de vie, tout d’abord un enjeu capital pour la cohésion sociale et l’avenir politique de notre pays, mais aussi des leviers originaux pour relancer la compétitivité de l’économie française. J’y reviendrai en conclusion.
Mes trois vœux en relation avec les conditions de vie correspondent à trois préoccupations majeures des Français : le pouvoir d’achat, le logement et la mobilité.
Voici maintenant une dizaine d’années qu’une large majorité de Français exprime dans les enquêtes le sentiment d’un recul de leur niveau de vie. Et depuis 2011, les statistiques de l’INSEE rejoignent le ressenti des ménages : le pouvoir d’achat est effectivement en baisse. L’installation d’un sentiment de paupérisation dans une société qui continue de graviter autour de la consommation, qui attise en permanence les braises du désir de posséder, ne peut conduire qu’à la frustration et au mécontentement. L’État est désormais totalement impuissant à répondre aux attentes en matière de pouvoir d’achat. Pire, on le sait, la politique de redressement des comptes publics fera certainement de 2013 l’une des pires années sur le front du pouvoir d’achat que la France ait connu depuis la Reconstruction. A défaut de pouvoir augmenter le pouvoir d’achat des ménages, il convient de tenter d’améliorer leur pouvoir de consommation en les aidant à consommer mieux. Le gouvernement prépare une loi sur la consommation qui sera présentée au printemps. Mon vœu est que cette loi intègre des mesures ambitieuses pour promouvoir un nouveau modèle de consommation, fondé sur les effets utiles et la qualité, et qui permette à chacun d’obtenir plus avec moins, moins de pouvoir d’achat et moins de consommation de ressources non renouvelables. Parmi ces mesures, l’allongement très significatif – à 5 ou 10 ans – de la durée de garantie sur les biens durables ferait figure de symbole. Mais on pense aussi à des mesures qui pourraient soutenir le développement de toutes les formes de consommation collaborative ou bien, sur le plan de la normalisation, promouvoir la conception modulaire des produits de manière lutter contre l’obsolescence programmée et à injecter davantage de concurrence sur certains marchés.
La question du pouvoir d’achat interfère directement avec celle du logement. Rappelons qu’un ménage sur deux lui consacre plus de 18 % de son revenu, mais que ce « taux d’effort » monte jusqu’à 27 % pour les locataires du secteur libre et pour les accèdents à la propriété. Et ce ne sont là que des moyennes : les jeunes et les catégories les plus modestes sont les plus touchés. Réduire le coût du logement, c’est donner un sérieux coup de pouce au pouvoir d’achat. C’est aussi permettre aux classes moyennes de renouer avec un rêve d’accès à la propriété qui, s’il reste toujours aussi fort, devient de plus en plus problématique. S’attaquer au problème du logement, c’est aussi, bien sûr, s’attaquer au problème des mal-logés ou des sans-abris, dont le nombre s’accroît avec la progression de la pauvreté. Le gouvernement a adopté un train de mesures pour tenter de relever le défi du logement. Outre qu’elles mettront nécessairement du temps à produire leurs effets, il est à craindre qu’elles ne soient pas à la hauteur de l’enjeu. Notre pays a besoin d’une véritable mobilisation en faveur du logement, ce qui suppose vraisemblablement que l’Etat se montre plus autoritaire auprès des collectivités locales, que des plans ambitieux soient définis à l’échelle des intercommunalités…
Mon troisième vœu porte sur la question de la mobilité, et plus précisément de la mobilité dans les grandes agglomérations. L’étalement urbain qui continue de marquer la croissance des grandes villes – qui n’est pas sans lien avec la question du coût du logement – se traduit pour beaucoup de Français par la « galère » au quotidien, notamment dans la navette domicile-travail. La situation est à son paroxysme en Ile-de-France où les infrastructures de transports (autoroutes, trains, RER…) sont saturées. Outre le coût économique du temps perdu dans les transports, il y a là un important facteur de dégradation de la qualité de la vie quotidienne, de fatigue, de stress… Les politiques semblent avoir conscience du problème. Chaque grande métropole s’est attelée à améliorer ses infrastructures, les plans de circulations… comme en Ile-de-France avec le chantier du tramway à Paris ou les nouvelles lignes de métro associées au Grand Paris. Mon premier vœu en la matière est que l’austérité budgétaire ne conduise pas – comme on peut légitimement le craindre – à un gel ou à un ralentissement des projets en cours. En tout état de cause, toute solution impliquant les infrastructures ne peut produire ses effets que de manière très différée. En attendant, je formule le vœu de la multiplication des initiatives innovantes pour tenter d’apporter des solutions en prenant le problème par d’autres bouts. En misant sur « l’économie de la proximité », c’est-à-dire en s’efforçant de réduire les occasions de se déplacer. L’un des aspects de cette économie de la proximité sans doute le plus prometteur porte sur le télétravail, à domicile ou bien au sein de « bureaux de proximité » ou d’espaces de « co-working ». En permettant aux salariés qui exercent une activité compatible avec le télétravail, de « télétravailler » 1 ou 2 jours par semaines, on réduit la saturation des infrastructures et on améliore la qualité de la vie non seulement des télétravailleurs mais aussi de l’ensemble des usagers des infrastructures de transport.
Les quelques chantiers que je viens d’esquisser ne sont que des illustrations de ce que je souhaite voir formuler comme une véritable politique des conditions de vie. Il y a urgence. Il y a urgence à redonner du sens à l’action publique. Difficile de mobiliser, de faire rêver avec des objectifs de réduction des déficits publics, ou même avec le solde de la balance commerciale. Le risque que nous courrons à négliger le quotidien des gens, à faire que l’action politique ne soit perçue que sous l’angle de sacrifices à consentir pour des finalités peu comprises, c’est le risque de dégrader encore le moral des Français et leur rapport à la politique. Depuis le début des années 2000, les indicateurs qui cernent la psychologie des Français convergent vers un diagnostic alarmant : chute du moral, sentiment d’appauvrissement, déclin de la confiance tous azimuts et en particulier à l’égard des politiques et des élites… Autant d’éléments que l’on est tenté de rapprocher des comportements électoraux : montée de l’abstention, attractivité des extrêmes. Engager un politique des conditions de vie, c’est donc, en se donnant un projet collectif, répondre aux préoccupations des Français et, peut-être, calmer la tentation populiste.
Mais une politique des conditions de vie doit aussi être conçue comme une dimension, jusqu’ici trop négligée, d’une stratégie globale de restauration de la compétitivité de la France. 1) En favorisant l’engagement résolu des entreprises françaises dans un nouveau modèle de développement, dans une économie de la qualité, une économie tendues vers la fourniture d’effets utiles et l’apport de solutions, qui se montre économe en ressources non renouvelables, et qui peut s’appuyer pour cela sur cette volonté très largement partagée par les Français de « consommer mieux ». 2) Se donner l’objectif d’améliorer la qualité de la vie en France c’est aussi renforcer l’attractivité du territoire national pour l’implantation des entreprises étrangères et, peut-être plus encore, pour l’attraction des individus talentueux – entrepreneurs, artistes, chercheurs – du monde entier dont on sait qu’ils sont de plus en mobiles dans le monde globalisé, à la recherche d’un environnement leur assurant une vie de qualité. Non, le niveau de la pression fiscale, n’est pas le seul ni même le principal déterminant de la localisation des talents !
Pour me résumer donc, je formule le vœu que les urgences que nous nous sommes données sur le plan macroéconomique ne détourne pas le gouvernement de proposer un projet de société, cette fameuse « politique de civilisation » proposée par Edgard Morin reprise un temps par Nicolas Sarkozy et que je reformulerais plus simplement comme politique des conditions de vie. Le temps presse. Il est temps de montrer la voie et d’ouvrir les chantiers.
Un petite vidéo diffusée sur Xerfi Canal dans lequel j'explique que face à la morosité des perspectives en matière d'évolution du pouvoir d'achat, il reste à jouer la carte de l'augmentation du "pouvoir de consommation".
J'ai dirigé la réalisation d'une enquête de l'ObSoCo sur le "gilets jaunes". Terrain mené fin janvier sur un échantillon représentatif de 4000 personnes avec un questionnaire d'une cinquantaine de questions. Sans doute l'enquête quantitative la plus approfondie...
Après la Seconde Guerre mondiale, s'ouvre en France une période de prospérité. C'est le temps des Trente Glorieuses où la consommation a été multipliée par trois. Dans les années 50, les loisirs prennent plus de place dans le quotidien des familles. Les...
Télécharger le rapport de l'étude réalisée par l'ObSoCo pour l'Unifrance. http://www.lobsoco.com/quelles-perspectives-le-numerique-ouvre-t-il-aux-films-francais-a-letranger-decouvrez-letude-de-lobsoco-pour-unifrance/
Le livre issu du colloque du Cercle de l'ObSoCo de janvier 2017 est paru. Avec les contributions de François Attali, Christophe Bevavent, Enrico Colla, Dominique Desjeux, Benoît Heilbrunn, Philppe Moati et Dominique Roux. https://www.lalibrairie.com/livres/-de-penser-la-consommation--peut-il-y-avoir-une-bonne-consommation--_0-4867924_9782376871262.html?ctx=fed09223853d6b117637eea5a9298dd3...
Le 15 janvier prochain, j'aurai le plaisir d'inaugurer la 4ème session du séminaire "Accumulations et accélérations : l'emballement du monde" organisé par le Pr Christopher Pollmann à la Fondation Maison des Sciences de l'Homme. J'y reprendrai un certain...
Dans cette vidéo, je fais un survol des principaux résultats de l'Observatoire du "Faire" l'ObSoCo/La Maif.
Interview de Philippe MOATI et Elisabeth VRTIPRASKI