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Ce blog va bientôt cesser d'exister, tout du moins de manière autonome. Le blog de l'Observatoire Société et Consommation (L'ObSoCo) prend progressivement la suite. D'ores et déjà les archives de ce blog y ont été transférées et chaque nouveau billet posté ici est également publié sur le site de l'ObSoCo. Je partagerai le blog de l'ObSoCo avec Nathalie Damery et Robert Rochefort, qui ont fondé avec moi l'Observatoire Société et Consommation, ainsi qu'avec l'ensemble des membres du Cercle de l'ObSoCo... A suivre !!

 

 

http://www.asso-lobsoco.org/le-blog-de-l-obsoco.html

 

 

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 12:17

C'est la question qu'Atlanco m'a demandé de traiter en 3000 signes...

 

En substance : non ! Le problème de la France réside avant tout dans la compétitivité internationale de son système productif. Plus que d'une réduction du coût du travail, la France a besoin d'une stratégie claire d'engagement dans un nouveau modèle de développement, en mesure de répondre au défi de l'impératif écologique. Les consommateurs, qui aspirent aujourd'hui massivement à consommer autrement et qui expérimentent des pratiques alternatives, peuvent être l'un des rouages de ce rebond.

 

Accéder à la tribune complète sur le site d'Atlanico : cliquez ici.

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 17:01

Une nouvelle vidéo publiée par Xerfi Canal dans laquelle je reviens sur la nécessité d'orienter le modèle de consommation en direction de la qualité. J'y défends une idée qui me tient à coeur : allonger significativement la durée légale de garantie afin de s'engager vers une économie de l'usage.

 

 

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 22:02

Voici le texte de ma contribution à l'ouvrage collectif "Une croissance intelligence... demandons l'impossible", édité sous la direction de Philippe Lemoine. Dans ce texte, je poursuis ma réflexion sur l'économie des effets utiles, en développant notamment la notion de "pouvoir de consommation".

 

Précipitez-vous sur l'ouvrage ! Il rassemble un ensemble de textes qui ouvrent des perspectives stimulantes pour refonder la croissance.

 

 

 

Les développements qui suivent partent de cinq présupposés. Comme tout présupposé, ils relèvent davantage de l’intuition argumentée que de la démonstration.

 

1)      Même si de nouvelles formes d’organisation de l’activité productive  (coopératives, « social business », communautés du libre…) sont en développement et justifieraient des politiques de soutien, l’essentiel de la production continuera pendant longtemps de provenir de l’activité d’entreprises capitalistes.

 

2)      Le modèle de croissance actuel, en particulier les manières de produire, de distribuer et de consommer les richesses, est insoutenable à moyen et long terme sur le plan environnemental, en particulier s’il se diffuse aux pays émergeants à populations importantes.

 

3)      La consommation est au cœur de la culture occidentale. De manière générale, la population demeure très attachée à l’hyperconsommation et, si les consommateurs se montrent de plus en plus réceptifs aux problématiques environnementales, rares encore sont ceux qui ont entrepris ou envisagent d’entreprendre un changement radical de leur mode de vie qui s’accompagnerait d’une réduction de leur consommation. Corolaire : la question du pouvoir d’achat, qui a été en tête des préoccupations des Français au cours des dernières années, continuera de l’être dans les années à venir. Ne pas répondre à ces attentes revient à prendre le risque d’aggraver la sinistrose qui s’abat sur les classes moyennes et qui entretient le populisme.

 

4)      Les défis à relever sont trop importants et imposent des changements trop radicaux pour prendre le risque de ne tabler que sur l’adoption spontanée par les acteurs économiques – entreprises et consommateurs – de comportements teintés de davantage d’éthique et de responsabilité. Nous n’entrerons pas dans le débat sur la nature humaine, sur la prédominance des orientations égoïstes ou empathique. Mieux vaut pécher par excès de pessimisme en partant du postulat que les entreprises recherchent avant tout la maximisation de leur profit et les consommateurs celle de leur « utilité », plutôt que de surinvestir dans les bonnes volontés. Adopter la seule contrainte comme levier de changement risque, si elle heurte la logique des acteurs, de faire l’objet de stratégies de contournement la vidant d’une grande partie de son efficacité. En conséquence, il convient de faire en sorte que les acteurs soient amenés, dans la recherche de leur intérêt propre, à contribuer à l’atteinte des buts collectifs. Autrement dit, les conduire à « internaliser les externalités ».  

 

5)      Un capitalisme sans croissance est difficilement concevable. A court et moyen terme, la croissance est requise pour résorber le chômage, assainir les finances publiques, assurer le financement de la protection sociale. De façon plus structurelle, le capitalisme se conçoit difficilement sans cette énergie qui le fait aller de l’avant. La croissance est inscrite dans le fonctionnement de l’entreprise capitaliste. Brider la croissance à l’échelle macroéconomique conduirait très certainement à une concurrence sauvage entre les entreprises dont les conséquences notamment sur l’emploi sont difficiles à prévoir. Ce n’est donc pas à la croissance en tant que telle qu’il convient de s’attaquer mais à une certaine configuration du capitalisme qui charrie trop d’effets négatifs, afin de jeter les bases d’un régime de croissance permettant de réconcilier l’économie avec des objectifs collectifs tels que la réponse au défi écologique, la cohésion sociale, et le bien-être des populations.

 

Notre angle d’attaque est partiel. Il se concentre le modèle de consommation. En tant que débouché ultime du circuit économique, la consommation finale des ménages exerce une influence quantitative et qualitative, directe et indirecte sur l’ensemble du système productif. Une « autre croissance » passe nécessairement par une transformation du modèle de consommation. La consommation est un point d’articulation entre l’économique et le social, entre le collectif et l’intime. La transformation du modèle de consommation suppose son acceptation sociale. Une perspective qui se contenterait de mettre en avant la nécessité de consommer moins (même si c’est aussi pour consommer mieux), de culpabiliser les consommateurs… risque de se heurter à d’importantes résistances. Les attentes en matière de pouvoir d’achat sont fortes et, malheureusement, les prochaines années devraient se révéler difficiles sur ce plan. Les tensions sur les cours des matières premières – un temps mises en sourdine par la crise – se manifestent de nouveau. Entre la croissance de la demande mondiale associée à l’essor des économies émergentes, la raréfaction des gisements de certaines matières premières et les premières conséquences du dérèglement climatique sur les récoltes de produits agricoles, les ingrédients sont réunis pour laisser craindre une tendance durable à la hausse des cours. Face à la hausse des prix, les perspectives de compensation par la progression des revenus sont minces, en raison des difficultés persistances à relancer l’activité, du déficit de compétitivité internationale de la production industrielle qui invite à une modération salariale compétitive, du maintien à un niveau élevé du chômage… A cela s’ajoute la priorité accordée à l’assainissement des finances publiques et, à plus long terme, la question du financement de la protection sociale. Le malaise exprimé par les Français lors de l’épisode inflationniste de 2007-2008 a commencé de ressurgir. Les catégories les plus modestes sont les plus directement touchées. Les autres vivent la frustration d’un pouvoir d’achat qui n’est pas à la hauteur de leur appétit de consommation. On peut tabler sur l’hypothèse que la demande sociale en matière de pouvoir d’achat va demeurer très forte, voire s’intensifier au cours des prochaines, sommant le pouvoir politique de trouver des solutions.


Si l’on continue de raisonner à l’ancienne, les pistes d’action sont connues et ont déjà été profondément labourées. La plus évidente consiste à rechercher le salut dans la relance de la croissance. Souvenons-nous qu’à peine installé à l’Elysée, Nicolas Sarkozy, le « président du pouvoir d’achat », a formé une commission chargé de lever les obstacles à l’obtention du fameux point de croissance supplémentaire. On connait la suite. Une deuxième piste – elle aussi largement exploitée par le gouvernement – porte sur le dénominateur du pouvoir d’achat : les prix. Au travers notamment de la Loi de modernisation de l’économie, le gouvernement a cherché à introduire davantage de concurrence sur les marchés, à favoriser le développement des offres low cost, à libéraliser le régime des promotions dans le commerce afin de multiplier pour les consommateurs les occasions d’acheter à prix barrés. Ces deux pistes ont montré les limites de leur efficacité. Mais, plus grave, elles conduisent à entretenir un modèle de consommation et, plus généralement, un régime de croissance dans l’impasse.

 

Comment donc répondre à la demande sociale de croissance du pouvoir d’achat tout en s’engageant dans la voie d’une nouvelle croissance qui soit, en particulier, soutenable sur le plan environnemental ? L’idée que nous souhaitons développer ici repose sur la dissociation à opérer entre l’achat et la consommation, entre les produits et les effets utiles[1] qui en sont issus, bref sur la mise en place d’un nouveau modèle de consommation. Les germes de ce nouveau modèle sont déjà présents. Il s’agit d’en accélérer le développement et de l’orienter au mieux des objectifs collectifs. Pour cela, il convient de réfléchir à des dispositifs de régulation qui favorisent le déplacement l’objet de la transaction marchande des marchandises vers les effets utiles pour les consommateurs et la société, de manière à fonder un régime d’accumulation orienté vers la qualité et la croissance des services rendus, ceci dans le cadre de modèles économiques d’entreprises favorisant l’internalisation de la sobriété environnementale. Cela suppose que la priorité politique se déplace de l’objectif de croissance du pouvoir d’achat – au sens de capacité à acheter des produits – vers celui de la croissance du pouvoir de consommation ou de pouvoird’usage – au sens de la capacité d’accès à des effets utiles. Cette démarche consiste à viser la maximisation des effets utiles par euro dépensé et, dans le même mouvement, l’élévation du rapport entre les effets utiles fournis et les ressources naturelles consommées, en cohérence avec une stratégie d’ensemble visant à passer d’une économie centrée sur la croissance quantitative de la production de marchandises à une économie vouée à la production d’effets utiles.

 

Un modèle de consommation à bout de souffle

Le modèle de consommation hérité du capitalisme industriel est à bout de souffle, pour au moins trois raisons.


D’abord, il se trouve au premier rang des accusés pour ce qui est des atteintes à la planète. La diffusion rapide de ce modèle aux populations des pays émergeants rend sa révision indispensable et urgente. Ce point a été suffisamment argumenté pour qu’il ne soit nécessaire de s’y étendre.

 

Ensuite, alors que la félicité consommatoire est au cœur de l’appareil de légitimation du capitalisme, les tensions multiples qui pèsent sur la dynamique du revenu des populations font de la stimulation permanente du désir d’acheter une source puissante de frustration. Le fait que le système ait affuté son expertise dans la stimulation de l’envie d’acheter mais ne donne plus les moyens de la satisfaire contribue à expliquer pourquoi le pouvoir d’achat se hisse aux premiers rangs des préoccupations des ménages et constitue un thème majeur du débat politique. Dans le contexte conjoncturel rappelé plus haut, persister dans un modèle quantitatif ne peut conduire qu’au mécontentement de la population et à la dégradation des performances des entreprises en raison de la baisse des quantités vendues et/ou de la pression sur les prix et du déplacement de la demande vers les produits les moins chers, souvent importés.

 

Enfin, les consommateurs semblent être de plus en plus nombreux à ressentir de la déception par rapport aux promesses de la société de consommation. Ce n’est pas l’appétence à la consommation en tant que telle qui est remise en cause, tout du moins pour ce qui est de la grande majorité de la population ; il semble plutôt que les consommateurs, plus réflexifs, aient gagné en lucidité quant au-dessous des cartes, la divergence des intérêts entre les vendeurs et leurs clients, les défaillances de l’offre sur le plan de la qualité ou de la durabilité, les limites d’un certain marketing qui sur-promet et élève le prix des produits sans véritable contrepartie en termes de bénéfices-clients… Autrement dit, la défiance s’est répandue sur les marchés à mesure qu’enflait la dimension déceptive de la consommation. Les observateurs des comportements de consommation relèvent la montée d’une aspiration à « consommer autrement ». Sur la base des données disponibles, le contenu de cette aspiration semble s’appuyer sur trois polarités : donner du sens et de l’éthique à sa consommation, en particulier en prenant en compte son impact environnemental ; veillez à l’innocuité pour la santé de ce qui est consommé, voire, en positif, faire de la consommation en facteur d’« empowerment », un instrument au service du la recherche du bien-être physique et psychologique, de la volonté de réalisation personnelle et du désir de puissance caractéristique de l’individu hypermoderne ; enfin, optimiser sa dépense en privilégiant le rapport qualité-prix parmi les critères d’achat, en évitant le gaspillage (ce qui rejoint la préoccupation environnementale), la surqualité, la pseudo-innovation, la fausse bonne affaire… Ces facteurs semblent se conjuguer pour renforcer l’attente d’une meilleure qualité de ce qui est consommé. Dans son édition 2010, l’enquête de l’Observatoire Celetem a interrogé les consommateurs de 12 pays sur ce à quoi ils seraient prêts à consentir pour obtenir des prix plus bas dans les magasins. « Avoir des produits présentés plus simplement » arrive très largement en tête en recueillant près de 81 % d’avis favorables. Ensuite, c’est sur la présence de caissières et de vendeurs, sur le confort d’achat, sur l’étendue du choix… que les consommateurs sont prêts à faire des sacrifices. « Accepter une qualité moindre » se classe en dernière position des onze items proposés (13 %).

 

La fondation d’un nouveau régime de croissance passera nécessairement par la refondation du modèle de consommation. Le régime de croissance des Trente glorieuses s’est fondé sur l’alliance du patronat et des salariés au travers du « compromis fordien », à une époque où la structuration sociale comme la construction identitaire reposait très largement sur le travail. Aujourd’hui, eu égard au niveau du taux d’activité et de la position que la consommation occupe dans la culture des sociétés occidentales, le système d’alliances sur lequel pourra s’appuyer la construction d’un nouveau régime de croissance comportera très certainement une alliance entre les entreprises et les ménages autour d’un nouveau modèle de consommation mutuellement et durablement profitable.

 

Dépasser le modèle quantitatif associé au capitalisme industriel

Fondamentalement, la relation marchande peut s’analyser comme une relation de service au cours de laquelle le vendeur et l’acheteur coproduisent des effets utiles. De même que, dans l’entreprise, les véritables inputs ne sont pas les facteurs de production mais les « services productifs » issus de la mise en œuvre du patrimoine de ressources mobilisées en son sein (E. Penrose), les effets utiles retirés par le client de la relation marchande ne peuvent se réduire à la marchandise objet de la transaction, mais découlent des services rendus par les ressources engagées en vue de la satisfaction du besoin, aussi bien par le vendeur que par l’acheteur. Des produits tangibles fabriqués par le vendeur peuvent figurer au rang de ces ressources, aux côtés de ressources intangibles telles que des compétences, des savoir-faire, une image de marque… La production d’effets utiles pour le client implique aussi la mobilisation de ressources qui lui sont propres afin, d’une part, d’orienter le déploiement des ressources du vendeur de manière pertinente par rapport la nature des effets utiles recherchés, mais aussi afin d’extraire le potentiel d’effets utiles issus des services fournis par le vendeur. Cette nature servicielle de l’échange se retrouve à l’état pur dans l’artisanat : l’objet de l’échange ne préexiste pas à la relation ; c’est par les interactions entre l’artisan et son client que le premier identifie de quelle manière il va déployer ses ressources productives afin de permettre au second d’accéder aux effets utiles recherchés. Cet accès suppose que le client fournisse effectivement à l’artisan les informations pertinentes, en amont, mais aussi en aval de la transaction afin que la production d’effets utiles puisse s’ajuster aux variables de contexte, à l’évolution du problème à résoudre, que les ressources soient entretenues, ajustées, mises à jour…. Il dépend aussi de la manière dont le client va mettre en œuvre les ressources obtenues du vendeur, ce qui peut mettre en jeu ses propres compétences, son temps, des produits complémentaires, la mobilisation de ses réseaux sociaux… Si l’on admet que la disposition du client à payer dépend de la valeur d’usage attribuée à ce qui naît de la relation, alors la qualité des contributions de l’acheteur à la production des effets utiles est aussi un ingrédient de la création de valeur pour le vendeur.

 

Le capitalisme industriel, en plaçant le produit sur le devant de la scène, a pris ses distances par rapport à cette approche de la relation marchande. Dans ce cadre, à l’extrême, l’activité productive consiste à mobiliser des facteurs de production génériques – du travail simple et des machines standardisées - pour assurer la transformation de la matière - la production de marchandises par des marchandises – en vue de la mise sur le marché de biens, véhicules d’une valeur d’échange assurant la rentabilité de l’opération. La réalisation de cette valeur d’échange (que les économistes classiques ont cru pouvoir ramener à la quantité de travail direct et indirect impliqué dans la production) par la vente de biens suppose qu’une valeur d’usage leur soit reconnue par des acheteurs. C’est là le principal mode d’interaction entre l’offre et la demande.

 

Le modèle économique d’entreprise associé à ce mode de fonctionnement de l’économie est profondément quantitatif. La réalisation de gains de productivité – c’est-à-dire d’une plus grande efficacité dans les opérations conduisant à la transformation de la matière – est au cœur du modèle. Les gains de productivité sont issus de la mécanisation de la production et de l’intensification de la division du travail, deux leviers générateurs d’économies d’échelle. L’ampleur des gains de productivité est donc conditionnée par l’importance des débouchés, cette dernière dépendant en retour de l’importance des gains de productivité qui améliorent l’accessibilité financière aux produits pour les consommateurs. Ainsi, produire en grande quantité ouvre la possibilité de vendre en grande quantité. Mais produire en grande quantité suppose de rationaliser la production, de standardiser les produits, de simplifier les modalités de la relation avec les clients. La dimension servicielle de la relation marchande passe alors au second plan, si elle ne disparaît pas purement et simplement devant la mise en avant du produit. L’activité productive est alors tournée vers la mise sur le marché d’artefacts dont les caractéristiques sont définies sur la base de ce qui est perçu comme étant le point de convergence de la demande du plus grand nombre. L’influence de la demande sur la configuration de l’offre n’est, au mieux, qu’indirecte au travers de la réalisation d’études de marchés, de procédures de normalisation, de conventions, ou de la force de rappel que constitue le succès ou l’échec commercial perçu sur l’angle des quantités vendues. Les effets utiles sont supposés être entièrement incorporés au produit. Effets utiles et produit se confondent si bien que c’est le produit qui constitue l’objet de l’échange. La relation étant concentrée sur la transaction (le moment de la réalisation de la valeur d’échange), la contribution des consommateurs à la production des effets utiles est très largement ignorée. Accéder aux effets utiles est supposé se limiter à l’appropriation de la marchandise porteuse de la valeur d’usage en s’acquittant du prix. Pour les entreprises, la maximisation du profit suppose de multiplier les transactions en continuant d’abaisser les coûts pour étendre le marché, en stimulant le désir d’achat, et en s’assurant qu’il se renouvèle régulièrement.

 

Pourquoi l’économie du produit est en cours de dépassement

Cette économie du produit a été à la base du régime de croissance fordien. Elle s’est fissurée avec la crise du fordisme. Pour notre propos, contentons-nous sur ce point de souligner les limites atteintes par les gains de productivité issus de l’exploitation intensive de facteurs de production génériques, mais aussi la prise de distance progressive des consommateurs vis-à-vis d’une offre standardisée, de qualité souvent médiocre, ne prenant pas suffisamment en compte la différenciation des attentes individuelles. En outre, les effets sur l’intensité de la concurrence de la conjugaison du ralentissement de la demande et de la mondialisation de l’arène concurrentielle ont dégradé les conditions de la rentabilité issue de la vente de produits standards. Pour échapper à l’érosion des marges, les entreprises se sont trouvées incitées à miser davantage sur la différenciation de leurs offres, via le marketing et l’innovation, et à tenter de répondre avec davantage de précision aux attentes des consommateurs en vue d’élever leur disposition à payer et de s’assurer de leur fidélité. Elles ont pu mobiliser à cet effet les formidables potentialités contenues dans les technologies de l’information et de la communication (NTIC). Cette évolution des stratégies d’entreprise a contribué à l’émergence d’un nouveau régime de croissance, une nouvelle étape du développement du capitalisme, que l’on peut qualifier de « capitalisme immatériel », non pas pour indiquer le passage à une économie qui serait devenue « post-industrielle », mais pour souligner l’importance prise par les ressources immatérielles dans le processus de création de valeur.

 

Le capitalisme immatériel est à la fois une économie de la connaissance et une économie du service. La différenciation de l’offre – et les rentes de monopole qui l’accompagnent – suppose la mobilisation de ressources spécifiques  (au sens de rares, non-échangeables et difficilement imitables) en complément ou en substitution des ressources génériques qui dominaient jusqu’alors les processus de production : avance technologique, capacité d’innovation, intelligence du marché, marques fortes, capital de confiance… La création de ces ressources spécifiques ainsi que leur mobilisation effective dans le processus de création de valeur implique des révisions profondes des formes d’organisation des entreprises par rapport à l’archétype de la firme fordienne. Les NTIC sont à cet égard un puissant allié. Formidable démultiplicateur de la capacité créatrice, elles mettent en réseau les connaissances et les intelligences, à l’intérieur et au-delà des frontières de l’entreprise. L’avènement d’une économie du service résulte du durcissement de la contrainte de débouché pour la réalisation de la valeur. Il faut progressivement apprendre à penser à l’envers, à partir de l’identification des attentes des clients, des potentialités de marché, pour ensuite déployer les ressources pour la construction d’offres pertinentes prenant en compte l’hétérogénéité de la demande dans le but de fidéliser les clients. D’où la formidable montée en puissance du marketing dans les entreprises, qui s’appuie là aussi sur les potentialités des NTIC à la fois pour améliorer la connaissance microscopique de la demande et pour tisser une relation à la fois plus dense et davantage personnalisée avec les clients.

 

Le travail long et complexe consistant à faire in fine de la connaissance et des services issus de la connaissance le principal ingrédient de la création de valeur pour l’entreprise via la différenciation et une meilleure capacité de réponse à la demande n’est sans doute pas achevé. S’il est bien avancé dans les relations inter-entreprises, notamment là où de puissants clients sont en mesure d’exiger un changement d’approche radical de la part de leurs fournisseurs, il n’en est encore qu’à ses balbutiements sur les marchés de consommation, qui demeurent pour l’essentiel ancrés dans l’économie du produit. Le nouveau régime de croissance ne serait être totalement installé tant que la satisfaction de la demande finale continuera de s’appuyer sur des modèles du passé.

La nécessaire entrée des marchés de consommation dans l’économie des effets utiles

Le mot d’ordre dans la plupart des grandes entreprises œuvrant sur les marchés de consommation est devenu « l’orientation-client » ou l’adoption d’une démarche « customer-centric ». La montée en compétence en matière de marketing et, plus généralement, dans l’intelligence des marchés est incontestable comme l’est aussi l’enrichissement de la relation marchande, ainsi que le révèle le développement du marketing « relationnel » auquel les nouvelles technologies ouvrent chaque jour de nouveaux champs d’application. Pour autant, le modèle économique du produit et la relation marchande « industrielle » demeurent la règle.

 

Les entreprises s’appuient sur l’amélioration de leur connaissance des clients pour asseoir des stratégies de segmentation-différenciation qui visent la stimulation de la demande afin d’entretenir une culture d’hyperconsommation. La logique dominante restant celle du produit, les efforts engagés au travers de la mobilisation des ressources immatérielles visent en priorité à rendre les produits désirables pour déclencher et multiplier les transactions. Avec l’élévation du niveau de vie et la saturation des besoins primaires, les ressorts des comportements d’achat font une place croissante aux facteurs socio-psychologiques, que le marketing cultive au travers de la valeur symbolique des produits. Au-delà de la fonctionnalité qui constitue leur raison d’être, les produits sont les véhicules de signes, de symboles, d’imaginaires, de valeurs auxquels les clientèles-cibles sont supposées s’identifier, adhérer et, au travers de leur consommation, construire leur identité, affirmer leur statut, revendiquer leur appartenance à des communautés… L’innovation est principalement orientée vers l’entretien de l’intérêt pour les produits par l’accélération du rythme de leur renouvellement. Les grandes entreprises ont trouvé dans le couple approvisionnements en provenance des pays à bas salaires/création de valeur symbolique un levier de croissance et de rentabilité qui prend le relais des gains de productivité associés au capitalisme fordien.

 

Ces nouvelles modalités de stimulation de la demande contribuent à la montée de la charge déceptive de la consommation. Autant les promesses sont relativement faciles à tenir lorsqu’elles portent sur les attributs fonctionnels des produits, autant le risque de sur-promesse est élevé lorsqu’on cherche à associer la consommation d’un produit à des objectifs aussi ambitieux que le bien-être psychologique, le plaisir, la réalisation de soi, une sociabilité réussie, la capacité de séduction, voire, la joie ou le bonheur. La course à l’innovation génère de la pseudo-innovation dont le but principal est d’inviter à jeter aux gémonies le produit qui était si désirable hier afin de le remplacer par un nouveau, plus performant, plus beau, plus… nouveau. L’ « obsolescence programmée » découle naturellement de cette logique, qu’il s’agisse de concevoir et de fabriquer les produits de manière à limiter leur durée de vie, ou de réussir à convaincre le consommateur que ceux dont il dispose sont dépassés ou démodés et qu’il convient de les remplacer sans tarder. L’activation de ces registres peut susciter de manière éphémère excitation, désir et plaisir chez les consommateurs, mais elle peut également conduire à la frustration, à la déception et à la défiance, entretenues par le fait que le déplacement des sources d’approvisionnement en faveur des pays à bas salaires s’accompagne souvent d’une dégradation de la qualité des produits. La défiance peut laisser place à la colère lorsque les compétences des entreprises sont mises au service de stratégies de verrouillage des marchés au travers de la construction de barrières à l’entrée des concurrents, de la création de standards propriétaires, de l’exploitation des multiples sources de rendements croissants… et qui conduisent à abuser de l’état de dépendance dans lequel se trouvent alors les clients, par l’établissement de coûts de sortie, la pratique des ventes liées, des prestations de piètre qualité…

 

C’est précisément par rapport à ces considérations que l’attitude des consommateurs semble avoir récemment commencé de changer, sans doute à la faveur du durcissement de la contrainte budgétaire et de la progression de la sensibilité aux enjeux écologiques. La « crise des marques » en constitue un symptôme. Les enquêtes indiquent en effet une perte d’attrait général des marques, ce qui s’illustre en particulier par l’emprise croissante des marques de distributeurs et le succès des offres low cost recentrées sur la fonctionnalité. Pour vaincre les réserves et convaincre les consommateurs d’acheter toujours plus, les acteurs de l’offre se sont lancés dans une course effrénée à l’ « utilité transactionnelle », s’écartant ainsi davantage encore d’une logique de fourniture d’effets utiles. L’objectif est de provoquer l’acte d’achat, non pas par la mise en avant de la valeur d’usage (fonctionnelle et symbolique) du produit, mais en tentant de faire de l’acte d’achat en lui-même un facteur d’utilité pour les clients. L’un des leviers activés pour cela est sans doute aussi vieux que le commerce : susciter chez l’acheteur le sentiment d’être face à une bonne affaire qu’il serait déraisonnable de laisser passer. Un autre levier consiste dans la théâtralisation de la marchandise et le développement de la dimension expérientielle de l’acte d’achat afin de stimuler l’achat d’impulsion. La montée en compétence des acteurs de l’offre affute leurs savoir-faire en matière de création d’utilité transactionnelle, que ce soit par les innovations en matière de tarification et de promotion ou par les progrès réalisé dans le merchandising, l’aménagement des points de vente, la stimulation polysensorielle… Dans tous les cas, la relation marchande s’écarte alors de sa finalité consistant à fournir des effets utiles pour devenir une fin en soi, directement destinée à la réalisation de la valeur d’échange. Une fois dégrisé, le consommateur peut sortir de ce type d’expérience culpabilisé ou déçu de se retrouver avec un produit, certes acheté à bon prix, mais mal adapté à son besoin, ou qui se révèle à l’usage bien moins admirable que ce qu’il paraissait en boutique. Lorsque la conscience se développe, que le doute s’installe, les consommateurs peuvent déployer des comportements en retour, que l’on recouvre souvent de l’expression « achat malin » : collecte de plus en plus systématique d’informations avant l’achat, arbitrage, mise en concurrence, recherche du prix barré, exploitation des promotions… Si pour certains consommateurs, l’achat malin peut s’assimiler à une pratique de loisir, pour la plupart il est devenu un mal nécessaire, une réaction à la peur d’acheter au prix fort, de devenir victime de la complexification des stratégies tarifaires des vendeurs. Au total, ce sont les coûts de transaction qui s’élèvent, avec le crainte permanente de se « faire avoir ».


Des signes encourageants

La diffusion de « l’achat malin » témoigne également de mise en place de comportements de consommation favorables à un changement de modèle. Le climat de défiance encourage des comportements actifs de recherche d’information sur la qualité des biens et la dispersion des prix, d’arbitrage, de marchandage, qui affectent les formes de la concurrence sur les marchés. Cette évolution encourage les entreprises à renforcer leur « orientation client », à se mettre à l’écoute des consommateurs pour renforcer leur image, leur capital relationnel. Ici ou là, l’accent est mis sur la qualité des biens, sur l’assistance aux consommateurs dans l’usage, sur la continuité du service, jetant les bases du passage à une économie des effets utiles.

 

A mesure que les entreprises approfondissent leur orientation-client, elles prennent davantage conscience de l’évidence selon laquelle la demande des consommateurs porte moins sur les produits en tant que tels que sur les effets utiles qu’ils ont susceptibles d’en tirer, sur la recherche de solutions à des problèmes de consommation. L’étape – décisive – qui reste à franchir est celle du passage de la fourniture de produits à la coproduction d’effets utiles et à l’apport de solutions. Cela suppose l’adoption de  modèles économiques de nature servicielle. On retrouvera alors l’essence de la relation marchande consistant dans l’offre de services par la mobilisation des services productifs de ressources spécifiques, le produit retrouvant son statut de simple support matériel engagé dans le processus de coproduction d’effets utiles. Un tel modèle serait de nature à réconcilier la consommation et le développement durable s’il parvient à dissocier la rentabilité de la quantité de produits vendus pour la faire reposer sur la valeur ajoutée issue de la qualité des effets utiles issus de la relation de service. On aura reconnu le modèle de l’économie de la fonctionnalité, qui constitue le point d’horizon d’une économie des effets utiles. Ce modèle, aujourd’hui cantonné à un petit nombre de marchés interentreprises, est trop éloigné des modèles économiques associés au capitalisme industriel pour que l’on puisse imaginer sa diffusion rapide à large échelle sur les marchés de consommation. Un processus par étape doit être envisagé, canalisé par l’adaptation du cadre institutionnel qui régule le fonctionnement des marchés.

Orienter le marché des biens vers la fourniture d’effets utiles

La première étape consiste à orienter le fonctionnement des marchés de produits vers la fourniture d’effets utiles. Les marchés restent centrés sur la transmission de droits de propriété sur des produits, mais ceux-là sont désormais pleinement conçus comme des ressources contribuant à la fourniture d’effets utiles pour les clients (et pour la société dans son ensemble), dont il s’agit d’optimiser les services productifs. A cette fin, la relation marchande s’étend de part et d’autre de la transaction.

 

En aval, il s’agit d’optimiser l’appariement consommateur/produit – de réussir l’ajustement qualitatif de l’offre à la demande – de façon à permettre à chaque client d’accéder au produit dont les caractéristiques sont les plus appropriés à la nature des effets utiles recherchés et, cela, dans les meilleures conditions de coût. Ceci suppose de produire et de diffuser une information pertinente – qui fait généralement défaut aujourd’hui - sur le potentiel d’effets utiles des offres concurrentes et leur coût d’usage complet[2].

 

Le bénéfice pour les consommateurs est évident : il réside dans la capacité à optimiser l’usage du pouvoir d’achat et d’améliorer le pouvoir de consommation en fondant le choix des produits sur une évaluation de la « valeur client »[3] s’appuyant sur des informations pertinentes et crédibles.

 

Le bénéfice environnemental se situe à différents niveaux. Tout d’abord, en permettant aux consommateurs désireux d’adopter un comportement de consommation « responsable », de disposer des moyens de distinguer les produits vertueux. Bien évidemment, la démarche d’évaluation des effets utiles peut déboucher sur une fiscalité de la consommation conduisant à intégrer dans le calcul du coût d’usage complet les externalités environnementales. Ensuite, en donnant les moyens aux consommateurs d’optimiser leurs dépenses, on réduit la dimension déceptive de la consommation et la tentation de corriger ses erreurs par de nouveaux achats et la mise au rebut des produits décevants et on offre les moyens de débusquer la fausse innovation. Informer les consommateurs sur les qualités effectives des produits et leur coût d’usage vise à objectiver les différences de qualité et doit conduire à l’évolution des modalités de la concurrence sur les marchés en direction de la qualité et de la durabilité. Selon une enquête récente, 54 % des consommateurs français considèrent ne pas être sûrs de la qualité des produits durables et 60 % déclarent qu’ils seraient davantage convaincus d’acheter plus de produits durables s’ils avaient des preuves concrètes de leur meilleure qualité[4].  

 

Aujourd’hui, les transactions sur les marchés des biens de consommation consistent pour l’essentiel dans la transmission de droits de propriété. Le déplacement de la focale de la fourniture de biens en soi vers la fourniture d’effets utiles via des biens peut conduire au développement d’autres modes de contractualisation entre les vendeurs et les acheteurs. On pense en particulier aux différentes formes de location, susceptibles à la fois de réduire le coût d’usage pour les consommateurs, d’ajuster la nature des effets utiles au caractère contextuelle des besoins, et d’économiser les ressources matérielles par l’intensification de l’usage des biens.

 

En aval de la transaction, il s’agit de mettre en place les conditions d’une coproduction efficace des effets utiles. Le consommateur doit être en mesure d’exploiter le mieux possible le potentiel d’effets utiles contenu dans le bien. La performance d’un produit n'est plus uniquement liée à ses attributs mais dépend aussi de la manière dont chaque client construit sa propre expérience de consommation.

 

La facilité d’utilisation du produit joue ici un rôle important, mais aussi les compétences du consommateur dans l’usage du produit. D’importants progrès ont été réalisé en matière d’accompagnement des consommateurs dans l’usage, allant de l’ergonomie des produits et l’élaboration de didacticiels jusqu’à la formation des clients que proposent aujourd’hui un nombre croissant d’enseignes de la distribution. Là aussi, les NTIC ont beaucoup apporté et apporterons de plus en plus.

 

Au cours du processus de consommation, des difficultés inattendues peuvent survenir qui compromettent la production des effets utiles attendus. Conseils et assistance sont alors requis. En la matière également, les choses avancent. Industriels et distributeurs sont de plus en plus nombreux à mettre en place des services d’assistance, les nouvelles technologies favorisant la mise en place de dispositifs permettant d’en maîtriser le coût. L’intensification de ce mouvement gagnerait à l’adoption de dispositions réglementaires imposant aux vendeurs un socle minimum d’obligations en matière d’assistance de leurs clients, complété par un dispositif de labélisation de qualité de ce service.

 

Enfin, si les effets utiles doivent-être la véritable finalité de l’échange et le produit un simple médiateur, les fournisseurs de produits doivent s’engager sur le potentiel d’effets utiles associé à leur produit. La forme de cet engagement est nécessairement différente selon la nature du produit. Pour les biens durables, elle consiste dans la garantie de la fourniture d’effets utiles sur une durée longue. Certains offreurs ont d’ores et déjà entrepris d’offrir une garantie allant très au-delà de la durée de la garantie légale (Kia garantit ses voitures 7 ans, Ikea ses meubles de cuisines et ses matelas 25 ans, Eastpak ses sacs 30 ans...). Nous avons récemment proposé d’étendre par étape la durée légale de la garantie du fabricant à 10 ans[5]. Lorsqu’un bien durable (un appareil électroménager, mais aussi un article maroquinerie ou un vêtement) est garanti sur une durée aussi longue, ce n’est plus tant le produit qui est vendu que son usage. Pour les biens et services non durables (i.e. consommés en un seul acte de consommation), ce sont les formules du type « satisfait ou remboursé » qu’il s’agit d’institutionnaliser. Pour la fourniture de prestation de services s’inscrivant dans la durée, il convient de réfléchir à l’instauration d’une obligation de continuité du service, qui reviendrait à introduire une obligation de résultat en lieu et place d’une obligation de moyens.

 

Les bénéfices pour les consommateurs de ce débordement de la transaction par l’aval se rapportent de nouveau à la dissociation entre le pouvoir d’achat et le pouvoir de consommation au travers de l’optimisation de l’usage des biens, de  l’allongement de leur durée de vie, de l’amélioration de la qualité de service… autant d’éléments venant réduire la charge déceptive de la consommation et optimiser les effets utiles obtenus de chaque euro dépensé. Sur le plan environnemental, des achats de biens qui tiennent leurs promesses limitent la fuite en avant dans le renouvèlement rapide. Obliger les fournisseurs à garantir les effets utiles les conduit à privilégier la qualité. Garantir 10 ans des produits sans y sacrifier sa rentabilité implique de concevoir les produits de manière à en accroître la durabilité, à faciliter leur entretien et leur réparation…

 

Vendre des solutions plutôt que des biens

La seconde étape sur la voie d’une économie des effets utiles consiste à faire des effets utiles, voire des solutions aux problèmes de consommation, le véritable objet de l’échange, ce qui revient à déplacer l’objet de la relation marchande des moyens vers les finalités.

 

Selon cette optique, la cession des droits de propriété sur le ou les produits intervenant dans la fourniture des effets utiles n’est plus nécessairement requise. Au contraire, dans le modèle d’économie de la fonctionnalité, le prestataire est incité à demeurer propriétaire des dispositifs matériels contribuant aux effets utiles, car l’optimisation du rapport « valeur d’échange de la contribution à la fourniture des effets utiles / coûts des ressources tangibles et intangibles mobilisés pour produire cette valeur » se trouve alors au cœur du modèle de rentabilité. Les produits sont alors conçus de manière à optimiser leur contribution à la fourniture des effets utiles recherchés (sans surqualité), pour durer, de manière à en faciliter la maintenance, le recyclage…

 

Un produit isolé n’est généralement pas en mesure d’apporter une solution à un problème de consommation, qui suppose le plus souvent de combiner, d’intégrer, des biens et services complémentaires dans l’usage. Offrir une solution implique ainsi de passer d’une offre de produits à une offre de bouquets. Un bouquet rassemble un ensemble de produits (biens ou services) complémentaires de la production d’une certaine gamme d’effets utiles, d’une solution à un problème de consommation. Nombre d’entreprises, dans l’industrie, les services et le commerce, ont entrepris ces dernières années de restructurer leur portefeuille d’activités, passant d’un principe de cohérence industrielle à une logique de bouquet. Pour autant, l’apport de la solution au client passe encore le plus souvent par la vente de biens, un à un, ou bien en bundle, selon un mode transactionnel classique.

 

La mise en place de véritables marchés de solutions reviendrait à faire évoluer considérablement la relation marchande en l’inscrivant dans un processus d’accompagnement du client dans la résolution du problème. La première étape d’un tel processus consiste dans l’établissement d’un diagnostic quant à la nature du problème à résoudre, ce qui suppose un véritable dialogue entre le prestataire et chacun de ses clients, base de la co-construction de la solution. Le prestataire mobilise ensuite ses ressources productives, ses compétences, ses moyens techniques… afin d’être en mesure, au moyen d’interactions avec les clients et en combinaison avec les ressources de celui-ci, de produire les effets utiles requis pour l’obtention de la solution. Des dispositifs assurant la remontée d’information sur les effets utiles effectivement produits doivent permettent au prestataire d’adapter en permanence son action. L’intervention du prestataire est ainsi régulièrement adaptée à la manière dont le problème se pose, aux effets déjà produits, aux variables de contexte… La relation génère ainsi un apprentissage de la part des deux parties, gage d’un gain d’efficacité dans la production des effets utiles. On retrouve l’esprit de la relation marchande artisanale, ou de la relation du patient à son médecin, les NTIC permettant aujourd’hui d’envisager la généralisation de ce type de relation marchande, à un coût compatible avec des logiques de marchés de masse.

Le bénéfice pour le client du passage d’une logique de produits à une logique de solutions par l’intermédiaire d’un bouquet découle de l’ex­ploitation d’effets d’intégration. Ces effets d’intégration s’expriment sous la forme d’une réduc­tion du coût de l’obtention de la solution et/ou de gains de perfor­mance pour le client. Ils sont liés à l’ajustement des ressources à la spécificité du problème à résoudre ainsi qu’à la qualité de l’intégration des formes, des fonctions et des interactions entre les différentes composantes du bouquet. Le bénéfice environnemental naît du découplage opéré entre le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise et la production d’artefacts physiques nécessaires à la fourniture des effets utiles.

 

La mobilisation de l’intelligence collective au cœur du nouveau modèle

Dans l’économie du produit associée au capitalisme industriel, les consommateurs sont cantonnés à un rôle passif : acheter, consommer et acheter encore. Ils interviennent indirectement dans l’orientation de la production au travers de l’image macroscopique que les études de marché et les chiffres de vente livrent de la nature de leurs attentes. L’économie des effets utiles implique une participation beaucoup plus active des consommateurs à la création de richesse. Les effets utiles étant – par nature – le produit d’une co-production liant les vendeurs à leurs clients, l’efficacité de la production d’effets utiles dépend de la qualité de cette co-production et de la contribution des consommateurs, pris individuellement, mais aussi collectivement.

 

Les NTIC favorisent l’émergence d’une intelligence collective des consommateurs qui est susceptible de devenir l’un des socles du nouveau régime de croissance. Là où le consommateur était isolé, mal informé et généralement muet, grâce aux réseaux informatiques, il peut désormais s’appuyer sur ses pairs, disposer d’une information croissante et prendre la parole. Comme évoqué plus haut, acheter de manière à optimiser le potentiel d’effets utiles associé à chaque euro dépensé suppose de pouvoir disposer d’une information qui est aujourd’hui, au mieux, partielle ; cette information porte moins sur les caractéristiques techniques des produits que sur leur potentiel d’effets utiles en situation d’usage. Elle doit être issue de procédures d’évaluation de la manière dont les produits se comportent à l’usage, de leurs fonctionnalités, de leurs performances, leur coût d’usage complet, mais aussi de leur impact environnemental, des conditions sociales de leur production…

 

Certaines entreprises se sont engagées dans cette voie sur un mode volontaire, ce qui pose la question de la crédibilité de l’information délivrée. Une avancée significative dans la direction d’une économie des effets utiles suppose l’engagement d’une démarche d’envergure consistant à constituer et à diffuser une information à la fois pertinente et crédible de nature à accroître le pouvoir des consommateurs d’orienter le contenu de la production. Cette démarche peut suivre une orientation « top-down » consistant à réunir l’ensemble des parties prenantes (producteurs, distributeurs, associations de consommateurs, Etat, ONG…) pour définir, catégorie de produits par catégorie de produits, les dimensions pertinentes de l’évaluation, les méthodologies adéquates pour réaliser cette évaluation et les formes adaptées de restitution des résultats. Une telle démarche a été engagée, notamment à la suite du Grenelle de l’environnement, mais d’une manière qui reste pour l’instant très concentrée sur la seule mesure de l’impact environnemental. Elle devrait être étendu à l’ensemble des dimensions du potentiel d’effets utiles contenu dans les biens, en particulier en direction des dimensions les plus susceptibles de figurer parmi les principaux critères de choix des consommateurs.

 

Mais Internet a déjà permis la mise en place d’une démarche alternative et complémentaire, décentralisée, laquelle, par la mise en réseau des consommateurs, est à l’origine de la formation d’une intelligence collective. On pense évidemment aux multiples forums dans lesquels les consommateurs partagent leurs expériences de consommation, aux avis et notations des produits sollicités par un nombre croissants de sites marchands - très prisés par les consommateurs avant la réalisation d’un achat – à l’origine d’une quantité déjà considérable et croissante de données produites, échangées et utilisées par les consommateurs (un exemple de l’user generated content évoqué par Philippe Lemoine). L’influence de cette intelligence collective sur le fonctionnement des marchés est déjà telle que les vendeurs cherchent à s’immiscer dans ces discussions, de manière licite (engagement dans les réseaux sociaux) ou non (publication de faux avis de consommateurs). L’accompagnement institutionnel du développement de cette intelligence collective est sans doute souhaitable, tant l’information qui en est issue revêt le caractère d’un bien commun. Il peut emprunter la voie de la mise en place de dispositions visant à renforcer la crédibilité des informations publiées. La Grande-Bretagne a récemment mis hors la loi la publication de faux avis de consommateurs. En France, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité réfléchit à la mise en place d’un label attestant de la sincérité des avis exprimés sur les blogs. Les comparateurs de prix, exploités par des entreprises privées au modèle économique discutable, pourraient faire l’objet d’un encadrement plus strict et être incités à tendre progressivement vers une comparaison des coûts d’usage. De manière plus générale, le partage d’information auquel se livrent aujourd’hui les consommateurs sur Internet est encore très centré sur l’acte d’achat : appréciation de la manière dont s’est déroulée la transaction, évaluation du produit immédiatement après sa réception. Cette information gagnerait à être complétée par la collecte de retours d’expérience tout au long de la vie du client avec le produit, permettant d’en préciser les performances, le type d’usage auquel il est effectivement le plus approprié, la fiabilité, la durée de vie…


La mobilisation de l’intelligence collective des consommateurs grâce aux réseaux informatiques ne se borne pas à la facilitation de l’optimisation du choix. Elle commence également à se manifester au stade de la consommation, dans l’assistance à l’extraction des effets utiles. Les communautés de consommateurs se multiplient, souvent à l’initiative des vendeurs. Elles permettent de mutualiser des expériences, de résoudre des problèmes, et, plus globalement, de construire une compétence collective en matière d’usage qui accroît la quantité d’effets utiles retiré des achats, ce qui va dans le sens de l’élévation du pouvoir de consommation. Ces communautés, qui sont de nature à offrir un service de qualité à un coût nul ou presque pour les vendeurs, constituent une forme d’externalité que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à tenter de capter. Car ces communautés n’ont pas simplement pour effet d’assister les clients et d’améliorer leur expérience de consommation ; elles participent d’un mouvement d’engagement des consommateurs en amont des processus de production. L’analyse de ce qui se dit au sein de ces communautés (mais aussi sur les réseaux sociaux, la blogosphère…) constitue une formidable rétroaction sur les conditions d’usage, les défauts des produits, les attentes d’amélioration… Les entreprises organisées pour « aspirer » ces données et les injecter dans leurs process trouvent là une autre forme d’externalité permettant de nourrir leur effort d’innovation et de canaliser la trajectoire de développement de leurs offres. A la pointe de cette intelligence collective, les consommateurs les plus impliqués (et les plus influents) sont de plus en plus couramment invités à participer activement à la réflexion sur le développement de nouvelles offres, à tester les nouveautés… voire à proposer des prototypes.

 

La constitution d’une intelligence collective des consommateurs constitue ainsi un formidable levier de développement de l’économie des effets utiles en raison à la fois de son rôle dans la relation marchande et les processus de consommation, mais aussi en tant formation d’un actif mobilisable à bon compte dans le processus de création de valeur par les entreprises. La mise au travail des consommateurs – au sens physique du terme – a été un levier exploité par le capitalisme industriel (« libre-service » dans les grandes surfaces, produits vendus en kit…). Pour reprendre l’expression de Michel Volle, désormais, c’est moins la « main-d’œuvre » des consommateurs qui intéresse les entreprises que leur « cerveau-d’œuvre » mis en réseau. C’est à la conclusion d’une alliance mutuellement avantageuse entre les consommateurs à l’origine de cette intelligence collective et les entreprises qui l’exploitent qu’il convient de s’atteler, notamment au travers de la révision du droit de la consommation et de l’organisation du mouvement consumériste. L’adoption du principe d’une « classe action à la française », dans ce cadre, peut constituer une étape utile, tant pour les nouveaux moyens qu’elle mettrait à la disposition des consommateurs que par le chantier de négociation entre les parties prenantes qu’elle ouvrirait.


Une autre forme d’intelligence collective est mobilisée dans la mise en œuvre des modèles économiques associés à la montée de l’économie des effets utiles. S’écarter de la vente de biens pour tendre vers l’offre de solutions suppose, on l’a vu, l’élaboration de bouquets de biens et services complémentaires dans l’usage. Une des difficultés de l’économie des bouquets réside dans la contradiction susceptible d’exister entre deux de ses caractéristiques fondamentales : la compétitivité d’un bouquet réside dans l’exploitation effets d’intégration entre ses composantes, qui font que le tout génère davantage de valeur que la somme des parties (solution plus efficace et/ou moins coûteuse). Ces effets d’intégration supposent une coordination étroite de la conception (voire de la production) des différents éléments du bouquet, en particulier sur le plan des interfaces qui gèrent leurs interdépendances ; le caractère composite d’un bouquet implique le plus souvent, pour le concevoir et le produire, la mobilisation de compétences hétérogènes qui s’oppose à l’incitation à la spécialisation cognitive induite par la course à l’innovation. Il existe deux manières de résoudre cette contradiction potentielle : 1) l’intervention d’un « intégrateur » qui conçoit une architecture et définit les interfaces et qui fédère les contributions d’une ensemble de fournisseurs/partenaires disposant de compétences spécialisées et complémentaires. 2) la modularité du bouquet par la définition d’interfaces standardisées (comme dans le cas des systèmes informatiques). Chacun de ces deux modèles présente son lot de vertus et de limites. Le modèle de l’intégrateur fait courir le risque de la formation d’un pouvoir de marché s’exprimant au travers de l’exploitation de la captivité du consommateur au sein de l’écosystème du prestataire. Le modèle de la modularité, qui repose sur la contribution d’un réseau ouvert beaucoup plus large, présente l’inconvénient d’entraver les innovations architecturales, qui sont souvent les plus radicales. Ces deux formes d’organisation de l’activité productive partagent d’opérer une division cognitive du travail par une mise en réseau des compétences. La qualité de la coordination de ces réseaux devient un facteur critique du processus de création de valeur. L’acquisition d’une position de force au sein de ces réseaux, permettant de capter la valeur née de l’intelligence collective qui y règne, devient du même coup un enjeu majeur. De ce point de vue, l’approche des bouquets par la modularité semble moins vulnérable aux tentatives de captage de

la valeur que le modèle de l’intégrateur.

 

Ces questions font rarement l’objet d’une réflexion en matière d’action publique (ou bien uniquement sous l’angle d’un droit de la concurrence très marqué par le capitalisme industriel). Une piste de réflexion sur les voies possibles d’une action publique dans ce domaine consiste, pour le plus grand nombre possible de bouquets répondant à une diversité de problèmes de consommation, à assurer les conditions de la plus forte modularité possible en conviant les « professionnels » à la définition d’un socle minimum de standards ouverts et partagés. Libre ensuite aux intégrateurs d’aller au-delà, d’offrir des fonctionnalités supplémentaires au travers de la mise au point d’architectures alternatives ou d’interfaces propriétaires, l’enjeu étant d’établir les conditions d’une mise en concurrence permanente des deux modèles et d’autoriser les consommateurs de passer de l’un à l’autre.

 

Conclusion

 

Les prochaines années risquent d’être peu réjouissantes sur le plan de la croissance du pouvoir d’achat des ménages, ce qui provoquera immanquablement l’augmentation du nombre de ménages en difficulté financière et le développement de la frustration de ne pouvoir satisfaire la soif de consommation. Ce contexte peut également être favorable à la diffusion de nouveaux comportements de consommation. Si la thématique de la « sobriété joyeuse » semble particulièrement difficile à tenir dans ce cadre, celle de la réduction du gaspillage, de l’optimisation de la dépense, de la qualité, de la consommation « utile »… peut bénéficier d’un accueil favorable. Paradoxalement, les temps qui viennent ouvrent une fenêtre d’opportunité pour la mise en place d’un modèle de consommation contribuant au socle d’un régime de croissance renouvelé.

 

L’enjeu majeur pour réussir cette transition nous semble devoir résider de la capacité à passer d’une logique de pouvoir d’achat à une logique de pouvoir d’usage et, en faisant des effets utiles l’objet de l’activité productive et le cœur de la relation marchande, opérer un certain découplage entre l’activité de production et la consommation de ressources naturelles, améliorer le rapport « effets utiles/atteintes à l’environnement ». Indépendamment des considérations environnementales, les entreprises ont engagé une trajectoire « d’orientation client » qui les inscrit dans cette direction. Il reste à affiner les modèles économiques. Le secteur du luxe témoigne de ce que l’on peut penser une économie rentable fondée sur la qualité, la durabilité et la valeur symbolique et lieu et place de la course aux volumes et de la consommation de matière. La viabilité économique des modèles serviciels est sans doute plus délicate, comme en témoigne la lenteur avec laquelle se diffuse le modèle de l’économie de la fonctionnalité. Il existe probablement un important réservoir de création de valeur pour les entreprises associé à l’établissement d’une véritable relation de co-production avec les consommateurs (pris individuellement et collectivement), les ressources engagés par les consommateurs dans la production des effets utiles, en amont et en aval de la consommation, pouvant servir de levier de valorisation de celles engagées par l’entreprise.

 

Cette économie des effets utiles en gestation repose fondamentalement sur la qualité des relations, l’efficacité des mécanismes de coordination : entre les vendeurs et leurs clients, au sein des communautés de consommateurs, entre les entreprises dotées de compétences spécialisées et complémentaires. Autant dire que c’est toute la conception théorique traditionnelle du marché comme lieu d’échanges ponctuels et anonymes (et les institutions – telle le droit de la concurrence – qui en ont été issues) qu’il s’agit de remettre en question.

 

Encourager les entreprises à s’écarter de l’autoroute balisée de modèles quantitatifs éprouvés pour explorer les chemins incertains des modèles serviciels sollicite l’intervention publique. La perspective de la mise en place d’une économie des effets utiles peut constituer un projet collectif autour duquel réunir les acteurs, engager le dialogue en vue de l’obtention de compromis entre les parties prenantes. Des incitations institutionnelles simples peuvent être mises en place rapidement, telles que l’allongement de la durée de garantie, l’engagement de démarches d’évaluation des produits et de leur coût d’usage, la recherche d’une modularité ouverte au sein des bouquets des biens et services complémentaires dans l’usage, la mise en place d’une fiscalité tenant compte de l’impact écologique, discriminant entre biens et services…

 

L’appareil statistique doit également s’adapter à la nouvelle donne et fournir les indicateurs permettant d’en suivre l’avancée. Comme le souligne Michel Volle dans son texte, les conventions de mesure de la richesse nationale, profondément teintées de la logique du capitalisme industriel, ne sont plus adaptées à enjeux de notre époque. La tâche consistant à leur substituer de nouveaux principes permettant l’évaluation de la production d’effets utiles ainsi que de l’ensemble des composantes du patrimoine de ressources qui en sont à l’origine est d’une redoutable complexité. Les réflexions et expérimentations en cours autour des « nouveaux indicateurs de bien-être » vont dans la bonne direction en cherchant à mesurer non pas des inputs (la production n’est pas une fin en soi) mais des « outcomes », comme l’état sanitaire et les conditions de vie objectives des populations, le degré de satisfaction des besoins, l’appréciation subjective de satisfaction à l’égard de la vie vécue dans ses différentes composantes… De même, la mesure de la croissance du pouvoir d’achat, qui dépend de façon cruciale de la manière de mesurer la dynamique des prix, doit laisser place à l’évaluation de l’évolution du pouvoir de consommation qui passe par l’utilisation d’un « indice du coût des fonctions » en lieu et place de l’actuelle indice des prix à la consommation dont la véritable vocation est d’évaluer la dépréciation de la monnaie[6].

 

Notre propos s’est ici concentré sur ce qui constitue le cœur d’une économie capitaliste : l’activité productive des entreprises ordinaires et leurs interactions avec les consommateurs. Il va de soi qu’une économie des effets utiles peut et doit s’appuyer sur une base plus large qui englobe les services publics, les mondes associatifs, les réseaux sociaux qui se forment grâce à Internet, voire les aménités associées au tissu urbain, au paysage… Cette élargissement de la perspective est d’autant plus nécessaire que passer d’une logique dominante de vente de produits à une logique d’apport d’effets utiles et de solutions suppose en général une démarche systémique, impliquant la combinaison des apports d’une grande diversité d’acteurs, gage notamment de l’internalisation des externalités mais aussi, parce que la mobilisation de ressources non marchandes peut constituer l’un des piliers de la viabilité des modèles économiques d’entreprise à bâtir.  C’est ce dont témoigne par exemple la mise en œuvre des solutions de mobilité du type de Vélib’ ou Autolib’.

 

Le risque, évidemment, est que les entreprises recherchent les clés de la croissance et de la rentabilité dans la mainmise sur  ces ressources non marchandes, dans la création de formes d’emprisonnement des personnes et de leurs ressources dans une relation marchande étendue et diffuse, susceptible de s’insinuer jusque dans l’intimité… C’est la raison pour laquelle le travail de refondation institutionnelle qui doit accompagner la mise en place d’un nouveau régime de croissance ne peut se contenter de mesures techniques. Elle doit viser la définition de nouveaux compromis entre l’ensemble des acteurs de la société. A défaut de pouvoir sans doute contenir les forces du capitalisme dans leur tentative de s’insinuer dans chaque espace susceptible de contribuer à l’objectif de croissance et de profit, c’est à l’édification négociée de digues et de canaux domestiquant cette énergie dans le sens du bien commun qu’il est urgent de s’atteler.



[1] Par effets utiles, nous entendons les effets de tous ordres qu'une offre est susceptible de produire sur ceux qui la consomment. Il peut s'agir de l'utilité directement retirée de la fonctionnalité de l'offre, mais aussi de l'ensemble des bénéfices associés à sa valeur immatérielle. Autrement dit, les effets utiles peuvent-être des effets… futiles ! Ils peuvent être directs pour le consommateur, ou indirects dans le sens où ils affectent la société dans son ensemble, comme dans le cas des atteintes à l'environnement (effets utiles négatifs).

[2] Actuellement, les consommateurs arbitrent entre les offres concurrentes sur la base du rapport entre des effets utiles anticipés (très imparfaitement appréhendés sur la base des informations disponibles) et le prix. Le prix ne représente pourtant qu’une des composantes de l’ensemble des coûts que le consommateur doit consentir pour accéder au potentiel d’effets utiles associé au produit. Une évaluation du coût d’usage complet doit intégrer les consommations nécessaires de produits complémentaires (carburant pour la voiture, cartouches d’encre pour l’imprimante, consommation d’eau et d’électricité pour le lave-linge…), la durée de vie pour les biens durables, voire le coût de ses ressources propres que le consommateur doit engager pour produire les effets utiles attendus (déplacement, travail d’installation, de mise en œuvre, d’entretien…). Une telle évaluation du coût d’usage confirmerait que, bien souvent, le moins cher n’est pas le moins coûteux.

[3] En marketing, l’expression « valeur client » désigne le rapport entre les bénéfices de tous ordres associés à une consommation donnée (les effets utiles) sur l’ensemble des coûts que le consommateur doit engager pour y accéder (le coût d’usage complet).

[4] Enquête Ethicity-Ademe, mars 2011.

[5] « Etendre la garantie sur les biens de consommation à 10 ans », Le Monde.fr, 3 mai 2010.

[6] Pour une présentation de la philosophie de l’indice du coût des fonctions, voir Moati Ph. Rochefort R., Mesurer le pouvoir d’achat, Rapport du Conseil d’Analyse Economique n° 93, La Documentation Française, paris, 2008.

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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 17:49

Un vidéo diffusée sur Xerfi Canal dans laquelle je rappelle les principes de l'économie des effets utiles et souligne l'opportunité qu'offre le débat sur le "produire et consommer" en France pour en faire un levier de politique industrielle.

 

 

 

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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 17:37

Un nouveau blog - Les débats de l'immatériel - créé dans la foulée de la publication de La force de l'immatériel de Laurent Habib, entend promouvoir la notion d'économie de l'immatériel.

 

A l'occasion du lancement du blog, j'ai répondu à une courte interview dans laquelle je mets en avant dimension servicielle du capitalisme contemporain.

 

 

Faut-il opposer services et industries ? A l’ère du capitalisme immatériel, Philippe Moati dégage les mutations de fond qui transforment l’économie et montre comment la logique de service traverse désormais tous les secteurs d’activité et inaugure de nouveaux modes de création de valeur.


Qu’entend-on par économie de l’immatériel ?

Philippe Moati – Les économistes qui se réclament d’une vision historique du capitalisme considèrent que nous sommes entrés dans un nouveau régime de croissance, un nouvel âge du capitalisme, souvent qualifié – en creux – de « post fordien ». De mon côté, je préfère utiliser l’expression de « capitalisme immatériel ». Cette expression fait référence aux fondements de la création de la valeur dans le capitalisme contemporain : la connaissance ainsi que la posture servicielle. La connaissance en tant que moteur de l’innovation. La posture servicielle entendue comme l’aptitude à rendre service aux clients, avec la dématérialisation de l’objet de la relation marchande qui tend à passer de la transaction sur des produits à la fourniture d’effets utiles (fonctionnels ou symboliques) et l’apport de solutions. Dans cette économie, la compétitivité des entreprises, dépend moins de leur taille et de la productivité dans l’usage des facteurs de production que dans leur capacité à créer et à exploiter des actifs immatériels tels que les compétences, la réputation, la confiance et les marques.

 

Cela sonne-t-il la fin de l’industrie ?

PM – Non. Il ne s’agit pas d’opposer industrie et services comme on risque de le faire en faisant de la ré-industrialisation de la France un enjeu de la campagne présidentielle. Je crains que derrière ce débat, il y ait la nostalgie de l’industrie d’hier, d’une économie rassurante parce que tangible.

 

La distinction industrie/service est devenue problématique. Ce qui marque notre époque est l’avance de la logique servicielle dans tous les secteurs. Il faut se rendre à l’évidence, aujourd’hui une entreprise travaillant dans le BtoB peut difficilement arriver chez un client avec son catalogue de produits dans lequel elle aurait à faire son choix. Elle doit nouer avec lui une relation lui permettant de comprendre comment elle peut mettre ses compétences à son service, et construire avec lui des éléments de solutions à des problèmes qu’ils rencontrent.

Le changement touche jusqu’à la définition du périmètre de l’entreprise, de son « métier » ou de sa mission. Dans le modèle fordien, l’entreprise se définissait par rapport à un produit, une branche d’activité.  Dans l’économie de l’immatériel, elle se définit par rapport à des compétences qui la mettent en mesure de gagner la course à l’innovation et qu’elle pourra valoriser sur des marchés différents. Elle peut aussi se définir par rapport à la nature des besoins de clientèle auxquels elle entend répondre (la mobilité pour les constructeurs automobile) ce qui l’amène à élargir son offre à l’ensemble des biens et services complémentaires dans l’usage pour le client. Ce type de basculement est déjà à l’œuvre dans le BtoB et est en cours de diffusion dans le BtoC.

 

Quelles sont les conséquences dans les entreprises ?

PM – Elles sont majeures. C’est quasiment l’ensemble des dimensions de l’entreprise qui sont mises en cause. Son rapport aux clients, on l’a vu, passe du « transactionnel » au « relationnel ». En interne, l’entreprise doit adopter des formes d’organisation maximisant sa capacité d’apprentissage, ce qui suppose bien entendu par des inflexions dans la gestion des ressources humaines qui doivent passer, comme le dirait Michel Volle, de la mobilisation de la main-d’œuvre à celle du cerveau-d’œuvre.  L’entreprise doit être capable de fonctionner de manière beaucoup plus ouverte de manière bénéficier des ressources cognitives et des externalités que lui offre son environnement, notamment en collaborant avec d’autres entreprises, avec ses fournisseurs, avec des centres de recherche… Dans l’économie de l’immatériel, il faut savoir faire l’éponge quand dans le passé le modèle dominant était l’entreprise enfermée dans sa tour d’ivoire.

 

Les entreprises peuvent-elles déroger à cette stratégie servicielle ?

PM – Je ne le pense pas. La fin des monopoles, l’hyper-concurrence liée à la mondialisation (notamment en provenance des pays à bas salaires) l’intelligence collective qui se forme du côté des consommateurs grâce aux réseaux informatiques et qui tend à constituer un véritable contrepouvoir pèsent fortement sur les marges des entreprises qui demeurent dans les modèles anciens, alors que paradoxalement la financiarisation de l’économie exige une forte rentabilité des capitaux investis. Basculer vers des modèles serviciels, fondés sur la maîtrise de compétences spécifiques, permet de construire des avantages concurrentiels durables créateurs de valeur ajoutée, régénérés en permanence par la capacité d’innovation et consolidé par le capital de confiance et de différenciation dont l’entreprise dispose auprès de ses clients.

 

Certains, qui assimilent économie de l’immatériel et économie de la gratuité, pointent une menace…

PM – Il me semble d’abord nécessaire de souligner que dans de nombreux cas l’apparente gratuité masque un déplacement de la monétisation vers des modalités de paiement indirectes ou différées. Ensuite, il me semble intéressant et stimulant d’observer l’émergence d’une intelligence collective grâce à la mise en réseau à grande échelle qu’autorisent les technologies de l’information, et qui se matérialise par des formes inédites de créations de richesses qui échappent à la pure logique marchande et qui, quelquefois, constituent une véritable concurrence pour les entreprises « ordinaires ». Qu’il suffise de penser à Wikipédia ou à Linux. Cela introduit de la variété dans le système et cela ne peut être qu’une chance pour celui-ci. Enfin, plutôt qu’une menace sur nos modes de vie, il apparaît clairement qu’un atout majeur de l’économie de l’immatériel est sa compatibilité potentielle avec le développement durable. L’économie de l’immatériel crée de la valeur en grande partie… immatérielle : des effets utiles plutôt que des produits.  Elle nous offre une perspective  de découplage de la prospérité et de la quantité de biens matériels produits.

 

 

 

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27 juillet 2011 3 27 /07 /juillet /2011 09:24
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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 20:54

En vue de ma participation à l'émission Service Public sur France Inter mardi 9 juin, voici quelques lignes d'introduction du thème du lien entre information et publicité.

 


 

La vocation de la publicité est de susciter la préférence des clients potentiels pour le produit ou pour la marque en soulignant ce qui le ou la différencie des offres concurrentes. Elle emprunte pour cela deux voies complémentaires :


- mettre en avant certains des attributs fonctionnels du produit ou de la marque : qualités, performances, prix…


- recouvrir l’offre d’attributs immatériels qui lui confèrent un supplément d’âme par l’évocation d’un territoire symbolique, d’un imaginaire, par la mise en avant de valeurs…


Tout message publcitaire est donc pourvoyeur d’informations et c’est là l’une des vertus que les économistes reconnaissent à la publicité : dans un contexte d’information imparfaite[1], elle contribue à l’amélioration de la connaissance qu’ont les consommateurs des offres concurrentes. Cet aspect informatif de la publicité est étroitement encadré par la réglémentation qui veille à la véracité de l’information délivrée et condamne la publicité mensogère. Cette police de la publicité, en garantissant sa crédibilité, est une condition de son efficacité. Pour autant, la publicité demeure, par nature, une source d’information partiale, reconnue comme telle par les consommateurs : nul n’est dupe de ce que l’annonceur ne met en avant que les qualités positives de son produit, qu’il tend naturellement à enjoliver. Tant qu’elle respecte les régles légales et déontologiques, cette partialité faisant partie du jeu ne pose pas de problème. Tout au plus, l’annonceur qui survaloriserait son produit risquerait-il de décevoir ses clients. Il en va autrement lorsque la publicité ne dit pas son nom, lorsqu’elle sort de son cadre pour entrer subreptissement dans le celui des autres catégories de communications (en particulier la communication informative). Or, le désarroi du monde de la communication face à des évolutions sociétales qui modifient le rapport des consommateurs à la publicité et au marketing, conjugué aux formidables potentialités offertes par les nouvelles technologies peut favoriser certains dérrapages susceptibles de brouiller les frontières entre l’information et la publicité.


L’efficacité de la publicité se trouve menacée par l’ampleur même de sa prolifération. La tendance de long terme à l’augmentation du flux de messages publicitaires, soutenue par l’apparition de nouveaux médias (multiplication des chaînes de télévision, journaux gratuits financés par la publicité, sites internet, mails, SMS…) pose le problème de la saturation de l’attention des consommateurs, de la lassitue du public. En outre, la publicité et, plus généralement, le marketing doivent faire face depuis plusieurs années à la montée dans l’opinion publique d’une attitude critique, dont les mouvements militants (anti-pub, décroissance) ne sont que la manifestation la plus visible. Selon une enquête TNS-Sofrès / Australie, seulement 50 % des consommateurs interrogés considéraient en 2009 la publicité comme informative, contre 58 % en 2005. 49 % l’estimaient utile (61% en 2005) et finalement seulement 44 % la jugeaient convaincante (54 % en 2005). La même enquête fait état d’une progression de la part des consommateurs qui se déclarent indifférents aux grandes marques (59 % en 2009 contre 52 % en 2007). Cette prise de distance vis-à-vis des marques s’illustre notamment par la progression régulière de la part de marché des marques de distrbuteurs et le succès des offres low cost. Les annonceurs, qui veillent au rendement de leurs budgets de communication, sont donc à l’affut de nouveaux leviers d’efficacité.


Simultanément, Internet est venu offrir aux consommateurs de nouvelles sources d’information, notamment au travers de la mise en réseau des consommateurs eux-mêmes au moyen des forums, des blogs, des avis de consommateurs… L’enquête OpinionWay réalisée en mars 2001 pou eBay et PayPal indique que 65 % des consommateurs considèrent les forums de discussion sur Internet comme un moyen efficace de s’informer sur les produits ou les marques commerciales. 43 % portent la même opinion concernant les blogs. Cette part tombe à 33 % pour ce qui est de la publicité sur Internet. Ces chiffres témoignent d’une tendance de fond, en résonnance avec l’actuel climat de défiance envers les institutions et les grandes entreprises, selon laquelle les individus font davantage confiance aux sources d’information émanant de pairs qu’à celles qui leur parviennent de manière verticale. C’est en quelque sorte une intelligence collective des consommateurs qui se constitue ainsi sur la toile, favorisant un rééquilibrage des pouvoirs sur les marchés entre l’offre et la demande, qui déstabilise les représentations et la pratiques des vendeurs.


Du coup, la tentation est grande pour les annonceurs de sortir du cadre balisé de la publicité qui dit son nom.


Cette tentation du brouillage, de l’expression masquée, a toujours existé. La forme de transgression sans doute la plus ancienne consiste à s’imisser dans l’expression apparemment neutre d’un rédactionnel empruntant les codes de la communication informative ou distractive, dans le cadre d’un article de presse, d’une chronique radiophonique ou d’un programme télévisé. Cette pratique doit théoriquement être accompagnée de la mention « publireportage » ou « communiqué » afin d’expliciter l’origine commerciale du message et le risque de biais dans l’information délivrée. Mais, pour des journalistes dont le modèle économique de l’employeur repose pour une large part sur les recettes publicitaires, qui fraient dans le même microcosme que les annonceurs et bénéficient parfois de leurs largesses (envois d’échantillons, invitations à des évènements…), il peut être difficile de conserver toute leur objectivité lorsqu’ils évoquent des univers de consommation et les produits qui lui sont rattachés. On pourrait également citer la pratique du « placement de produits » dans les films et les programmes de télévision, dont le champ en France s’est trouvé étendu par la loi du 5 mars 2009. Rien de bien répréhensible lorsque le produit apparaît de façon banale à l’écran. Mais la pratique est déjà plus contestable lorsque le cadre dans lequel apparaît le produit peut inciter à lui attribuer des caractéristiques qu’il n’a pas.


C’est sur Internet que les dérapages les plus graves interviennent. Certains annonceurs semblent éprouver bien des difficultés à constater l’influence grandissante des avis de consommateurs[2] sans tenter d’exercer une influence sur eux. Certains d’entre eux ont été pris la main dans le sac à publier des avis de « consommateurs » très favorables à leurs produits ou dénigrant les produits concurrents. De manière plus subtile, d’autres s’efforcent d’influencer les leaders d’opinion que sont les blogeurs à forte audience. Comme avec les journalistes, cette influence peut être indirecte et passer par l’établissement d’une relation privilégiée (invitation à des « premières », test des nouveaux produits…). Elle peut cependant se traduire aussi par le versement d’une rémunération. L’ambiguité naît alors du fait que le propos du blogeur apparaît comme indépendant alors qu’il se fait en réalité le porte parole intéressé de la marque.


Ces pratiques - certes tout à fait minoritaires - sont de nature à saper la confiance que les consommateurs placent dans les nouvelles sources d’informations en ligne. Cet écueil est particulièrement problématique alors que aussi bien la morosité des perspectives de croissance du pouvoir d’achat à moyen terme que l’absolu nécessité de réformer notre modèle de consommation pour faire face à l’impératif écologique rendent plus que jamais nécessaire l’amélioration quantitative et qualitative de l’information à la disposition des consommateurs afin de les aider à arbitrer en faveur des offres les plus compétitives, à faire de la performance en terme de fournitures d’effets utiles et de coûts d’usage complet le terrain privilégié de la concurrence entre les firmes. Il est donc important et urgent de mettre un terme à ces pratiques. Par l’autorégulation autant que possible, ou par la loi si nécessaire. L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) s’est saisie du problème et son Comité de l’éthique publicitaire publiera prochainement un avis sur ce thème.  En janvier, Frédéric Lefèbvre, le secrétaire d’Etat à la consommation, a demandé à la DGCCRF d’enquêter sur les avis de consommateurs. En mai, il déclarait soutenir la plainte du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs, à l’encontre du groupe Expédia et du site d’avis Tripadvisor.


Il est dans l’intérêt même de la publicité de respecter scrupuleusement les limites qui conditionne son acceptabilité sociale et son efficacité. A l’heure où l’information du consommateur devient particulièrement stratégique, elle dispose d’une formidable opportunité de répondre à sa critique en mettant sa puissance informative et sa capacité de séduction, avec sincérité, au service de la transformation de nos modèles de consommation.


Philippe Moati



[1] La plupart des produits ne délivrent pas spontanément, par simple observation, l’ensemble des informations sur les caractéristiques pertinentes pour orienter le choix des consommateurs.

[2] Selon l’enquête réalisée par le CRÉDOC pour eBay en mars 2009, 44 % des internautes déclarent utiliser régulièrement ou de temps en temps les avis de consommateurs sur Internet.

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8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 09:31

L'émission Service Public d'Isabelle Giordano sur France Inter de mardi prochain (10 mai) posera la question de savoir si l'on peut imaginer une économie sans croissance. J'aurai le plaisir d'en débattre aux côtés d'Olivier Pastré et Assen Slim. Dans la perspective de l'émission, j'ai rédigé la note qui suit. Elle n'a pas d'autre prétention que de poser le problème. Commentaires, discussions, propositions... sont evidemment les bienvenus.

 

 

L’idéologie de la modernité a associé le progrès social à la croissance économique. Si la croissance économique se nourrit de l’avancée des connaissances et des techniques, en retour, l’accroissement des richesses matérielles est garant de l’amélioration des conditions d’existence, de l’allongement de la durée de la vie, de l’élévation du niveau d’éducation, de la diminution tendancielle du temps de travail… L’énergie contenue dans l’économie capitaliste est conçue comme un puissant levier pour l’atteinte des objectifs sociaux. C’est sans doute durant les « Trente glorieuses » que cette idée c’est le mieux incarnée. La main invisible de l’économie – certes, régulée par un Etat keynésien fort – semblait alors œuvrer pour le bien de tous. Depuis, la sacralisation de la croissance reste partagée par la droite et la gauche. La gauche y voit en particulier les conditions d’une répartition plus juste et la source des moyens de financement de l’intervention publique et de la protection sociale. Ainsi, en dépit de l’alternance politique, les gouvernements successifs en sont toujours à rechercher les moyens de relancer la croissance et, avec le contexte de persistance du chômage et de tensions sur le pouvoir d’avoir, on ne prend pas grand risque à parier que la croissance comptera parmi les thèmes majeurs de la campagne électorale à venir.


Pourtant, ce que l’on est tenté d’appeler le pacte faustien entre l’économie et la société est aujourd’hui remis en cause, sous le poids de deux facteurs qui s’expriment chaque jour plus clairement.

 


Le dogme de la croissance ébranlé


Le premier est la mise en doute de l’idée que la croissance de l’économie amène ipso facto l’amélioration de la situation matérielle du plus grand nombre. La crise de fordisme et la montée d’un capitalisme financiarisé qui a libéré l’économie de nombre de ses régulations antérieures, ne se sont pas seulement accompagnées d’un ralentissement de la croissance. Dans certains pays, et particulièrement en France, elles ont généré un chômage de masse persistent qui touche plus spécifiquement les salariés les moins qualifiés et les jeunes ; elles ont conduit à rogner sur des avantages sociaux durement acquis au cours des périodes précédentes ; la répartition des revenus est devenue plus inégalitaire ; la flexibilisation du marché du travail a accru la précarité et la libéralisation des marchés financiers a favorisé l’instabilité macroéconomique et la succession de crises financières de grande ampleur… Au final, la libération des forces de l’économie semble avoir consommé le divorce entre sa logique propre et l’intérêt collectif. Dans l’Eurobaromètre du printemps 2008,  82 % des Français déclaraient anticiper que leurs enfants auraient une vie moins bonne que la leur (61 % pour l’ensemble des Européens). C’est donc la croyance dans le progrès qui se trouve ébranlée, probablement parce que le développement de l’économie est aujourd’hui pour beaucoup vécu d’abord comme synonyme d’une insécurité croissante, d’approfondissement des inégalités, d’une injonction permanente à la performance sans autre projet collectif que l’amélioration de la rentabilité… La jeune « économie du bonheur » a mis en évidence au plan statistique que, passé un certain niveau, l’accroissement du revenu ne s’accompagne pas d’une élévation du niveau subjectif de bien-être des populations. Ce résultat constitue une attaque fondamentale de la pertinence de la croissance comme objectif des politiques publiques et du PIB comme indicateur privilégié de la richesse et du bien-être.


Le second facteur de remise en cause du pacte entre l’économie et la société réside, bien sûr, dans la question écologique. Il apparaît de plus en plus clairement que la formidable capacité de destruction créative du capitalisme se double d’une puissante faculté decréation destructrice qui porte atteinte à l’environnement et déstabilise ma biosphère. La prise de conscience de l’impasse à laquelle nous mène une économie capitaliste fondée sur un modèle de croissance quantitative s’est accélérée au cours de la dernière décennie, à mesure que les experts affinaient leurs diagnostics sur le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources non renouvelables, le recul de la biodiversité… L’opinion publique est aujourd’hui sensibilisée. Si les comportements individuels évoluent vers plus de responsabilité, chacun comprend que les défis à relever imposent des réponses à une autre échelle. Le pessimisme quant à notre capacité collective à y faire face dans les délais que mettent en avant les experts contribue à la crise de l’idéologie du progrès et plus généralement à la sinistrose ambiante.


La croissance se trouve donc sur le banc des accusés. Les partisans de la « croissance 0 » ou de la décroissance sont de retour. Parés d’habits verts, ils ont acquis une nouvelle légitimité et leur audience s’accroît, tout au moins si l’on en juge par l’abondance des publications et l’écho que les médias leur donne. Jusqu’à Nicolas Sarkozy, à l’origine de la commission Stiglitz qui a légitimé (par la présence de trois prix Nobel en son sein) et institutionnalisé la critique de l’assimilation de la production matérielle au bien-être. Si les conclusions des travaux de la commission sont guère originales, elles ont le mérite d’avoir appelé avec énergie à la construction de nouveaux indicateurs permettant de dépasser le sacro-saint PIB, accusé entre autre de ne prendre en compte ni les externalités négatives (notamment sur le plan environnemental), ni le sentiment subjectif de bien-être des populations.


Les partisans de la décroissance ne manquent pas d’arguments pour dénoncer les méfaits de la croissance. Le propos se fait toutefois plus vague et moins consensuel lorsqu’il s’agit d’envisager comment la dépasser, comment  définir un cadre alternatif d’organisation de l’activité productive, un autre système économique. Le flou est plus épais encore quant à la manière d’opérer la transition du système actuel vers le nouvel idéal. En réalité, une question fondamentale est rarement posée : une économie sans croissance est-elle imaginable ? Si l’on s’autorise à imaginer une économie autre que capitaliste, tout devient possible. Mais alors, de quelle économie s’agit-il ? Comment opérer le passage du capitalisme à ce nouveau système dans un cadre démocratique ? Les réponses à ces questions sont généralement peu satisfaisantes, sans doute parce que, après l’échec de l’économie planifiée, nous ne disposons pas de modèles alternatifs prêts à l’emploi, ni même d’un modèle un tant soit peu élaboré sur le plan conceptuel. Eu égard à l’urgence de faire face au défi écologique, la véritable question consiste donc à savoir s’il peut exister une économie à dominante capitaliste sans croissance.


 

Un capitalisme sans croissance ?


A court terme, la réponse semble claire. La crise financière, en nous privant temporairement de la croissance, nous a rappelé notre dépendance à son égard. Sans un niveau minimum de croissance, c’est le chômage qui s’accroît, les comptes publics qui se dégradent, le pouvoir d’achat (qui préoccupe tant les Français) qui stagne ou qui s’érode…


A moyen terme, on voit mal, sans croissance, comme assurer le retour vers l’équilibre des finances publiques et le financement de la protection sociale ; comment faire face aux moyens croissants qu’il faudra consacrer au paiement des retraites, à la satisfaction de la demande en matière de santé, à la prise en charge de la dépendance… Sans croissance, une part croissante du revenu des actifs devra être consacrée au financement d’une protection sociale dont la qualité se trouverait menacée. Face à des prélèvements en progression, le revenu disponible pour la consommation se trouverait amputé, alors même que le retour des tensions inflationnistes sur les produits de base commence à élever le coût des dépenses contraintes, affectant d’abord le pouvoir d’achat des classes les plus défavorisées. Certes, on peut imaginer de vivre heureux en consommant moins, en reconnaissant qu’une part de nos dépenses correspond à des besoins superflus, largement suscités par le marketing de l’offre, que nous avons beaucoup à gagner à découvrir les charmes et les vertus de la « sobriété joyeuse »… Mais, outre que ce modèle de civilisation semble encore loin de séduire les masses, il fait l’impasse sur la question de fond : structurellement, une économie capitaliste peut-elle tout simplement fonctionner sans croissance ?


C’est là une question d’une redoutable complexité vis-à-vis de laquelle les économistes n’ont pas de réponse simple et consensuelle à fournir. Il semble clair que, à l’échelle microéconomique des entreprises, la combinaison de la recherche du profit (exacerbée dans le cadre du capitalisme actionnarial contemporain) et du jeu de l’ « esprit animal » qui anime les entrepreneurs est à l’origine d’une formidable source d’énergie qui pousse vers le toujours plus, le toujours plus loin. C’est d’ailleurs sans doute une des raisons principales qui expliquent que les formes alternatives de gouvernance des activités économiques (entreprises publiques, économie sociale et solidaire, communautés du « libre »…) ont rarement pu s’imposer ailleurs que dans les interstices du système, ses segments les moins rentables, les plus inadaptés à l’activité marchandes. Le capitalisme se pense en mouvement, dans le changement quantitatif et qualitatif permanent. Mais peut-être que ce qui est vrai à l’échelle microéconomique ne l’est pas nécessairement au niveau macroéconomique. Peut-être est-il pensable que les entreprises, une à une, puissent se trouver dans une dynamique de croissance au sein d’une économie globalement stationnaire. A tout le moins, une telle configuration correspondrait à une situation d’extrême violence concurrentielle, la croissance pour les firmes devenant un jeu à somme nul, avec des conséquences sur l’emploi, les salaires… difficiles à imaginer. L’effet des gains de productivité réalisés par les entreprises dans ce contexte conduirait immanquablement, sans croissance macroéconomique, à l’augmentation du chômage. La conversion systématique des gains de productivité en réduction du temps de travail – qui est une option séduisante et qui s’est vérifiée dans le temps long au cours de l’histoire du capitalisme – ferait peser des risques importants sur la compétitivité internationale des entreprises et l’attractivité de la France comme lieu de localisation des activités productives. Bien évidemment, la question se poserait en termes plus optimistes si le changement de logique économique intervenait à l’échelle planétaire. Les difficultés que rencontre la communauté internationale pour réformer – à la marge – un système financier dont chacun s’accorde sur le fait qu’il n’est pas tenable indique à quel point une telle perspective est utopique.


Devant les incertitudes concernant la viabilité d’une économie capitaliste sans croissance, il convient sans doute de déplacer la question en s’interrogeant sur la possibilité d’une autre croissance, qui permettrait de réconcilier l’économie et la société, qui reviendrait à faire rentrer la bête sauvage dans sa cage, et de retrouver les moyens de canaliser sa formidable énergie dans le sens du bien commun. Ce qui est donc en jeu n’est rien moins que de promouvoir un autre modèle de croissance, dans lequel la richesse s’évalue en termes moins quantitatifs que qualitatifs. Une réflexion autour d’un nouveau modèle de croissance susceptible de réconcilier l’économie et la société doit probablement viser l’atteinte simultanée des conditions suivantes : apporter des opportunités de croissance rentable aux entreprises et, au plan macro, un volume d’activité suffisant pour approcher du plein emploi ; mieux satisfaire les besoins des populations ; économiser la consommation de ressources non renouvelables et réduire les émissions de gaz à effet de serre ; promouvoir un emploi de qualité et une répartition des revenus équitable.

 

 

Des pistes existent


Des pistes existent, qui commencent seulement à être explorées à une échelle significative, pour un découplage entre la croissance économique et de la consommation de ressources non renouvelables.


Il est bien sûr le développement des énergies nouvelles. Il y a également l’éco-conception, qui consiste à concevoir des biens et des services afin de minimiser l’empreinte environnementale de leur production, de leur consommation et de leur recyclage. Plus loin de l’organisation actuelle de l’activité productive, l’économie circulaire offre des perspectives intéressantes de couplage d’activités complémentaires, les rejets des unes devenant des ressources pour les autres. Un potentiel considérable réside probablement dans la mise en place d’une économie centrée sur la fourniture d’effets utiles aux populations plutôt que sur la production de marchandises en soi. Cela passe par l’adoption de modèles économiques d’entreprise dans lesquels la croissance et la rentabilité passe moins par la quantité de produits vendus mais par la qualité des effets utiles fournis aux clients. L’aboutissement de cette logique est l’économie de la fonctionnalité, qui consiste à substituer la vente de services à la vente de biens, à faire de la satisfactions des besoins l’objet centrale de la relation marchande en lieu et place de la cession de droits de propriété sur des produits, sur le modèle de Vélib ou d’Autolib en matière de mobilité urbaine.


Chacune de ces pistes peut être envisagée dans le cadre d’une économie capitaliste. A condition d’inciter les entreprises à les exploiter énergiquement, car on ne lâche pas si facilement des modèles éprouvés et qui, tant bien que mal, fournissent aux firmes les résultats de court terme escomptés, pour s’engager dans l’aventure incertaine de l’exploration de nouveaux modèles. A ce jour, le rythme est insuffisant. Un accompagnement institutionnel est nécessaire, qui joue simultanément sur les contraintes, les incitations, l’aménagement des règles du jeu concurrentiel. L’émission de droits environnementaux négociables sur des marchés organisés à cet effet ainsi que la fiscalité verte sont a priori des outils puissants. Il nous faut faire preuve d’imagination collective pour Inciter les entreprises à s’engager dans la voie de la qualité, trouver les voies permettant de faire dépendre leur rentabilité de comportements vertueux. Par exemple, mieux informer les consommateurs sur les performances et le coût d’usage des produits est une manière d’orienter la concurrence sur les marchés en direction de la qualité et de la durabilité. Allonger très significativement la durée de la garantie légale sur les produits de consommation est une autre voie d’intégration de la durabilité dans l’équation de rentabilité des entreprises.


Les écologistes et les partisans de la décroissance pourront rétorquer que ce type d’approches, qui tente de composer avec l’existant, sans rupture, n’est pas à la hauteur des enjeux et qu’il est condamné à se heurter aux fameux « effets rebonds » qui fait que les économies de ressources et d’émissions de gaz à effet de serre qui pourraient être ainsi réalisées, se trouveraient rapidement compensées par les conséquences de la poursuite de la croissance. Peut-être. Mais on aura au moins gagné du temps. Un temps qu’il faudra mettre à profit pour trouver des solutions innovantes, orienter le progrès techniques dans les directions prioritaires. Au cours de l’histoire, le capitalisme a manifesté une capacité d’adaptation spectaculaire, se nourrissant et se renforçant de sa critique. Notre meilleur allié dans les épreuves qui nous attendent est sans doute cette énergie contenue dans ce système. Apprenons (ou ré-apprenons) à la maîtriser pour la mettre au service du bien public plutôt que de prendre le risque de lui porter atteinte.


Philippe Moati

Blog : www.philippe-moati.com

 

 

Pour aller plus loin :


GADREY J., Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Les Petits Matins, Paris, 2010.


JACKSON T., Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable, De Boeck, Bruxelles, 2010.


MOATI Ph., « Cette crise est aussi celle de la consommation », Les Temps Modernes, octobre 2009, pp. 145-169.


PRIETO M., SLIM A., Consommer moins pour vivre mieux ? Idées reçues sur la décroissance, Le Cavalier Bleu, Paris 2010.


STIGLITZ J. SEN A., FITOUSSI J.-P., Richesse des nations et bien-être des individus : performances économiques et progrès social, Odile Jacob, Paris, 2009.

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4 novembre 2010 4 04 /11 /novembre /2010 20:44

Le règlement européen n°1222/2009 va rendre obligatoire à partir du 1er novembre 2012 un dispositif d'étiquetage des performances des pneumatiques.

 

Concrètement, trois types d'informations seront délivrés sur le modèle des fiches d'ores et déjà en usage pour l'indication de la consommation électrique des gros appareils électroménagers et des émissions de CO2 des automobiles. Ici, trois critères ont été retenus qui fourniront de précieuses informations sur les effets utiles (pour soi et pour la société) que le consommateur sera en droit d'attendre de la consommation des produits : la résistence au roulement, qui exerce une influence non négligeable sur la consommation de carburant et interfère donc dans le coût d'usage du pneumatique ; l'efficacité du freinage sur sols mouillés, ce qui constitue évidemment un facteur de sécurité important ; et le niveau de bruit extérieur qui contribue à la pollution sonore.

 

Les méthodologies d'évaluation et les modalités d'information du public ont été standardisées. L'information devra également figurer sur la facture de vente des pneus, ce qui permettra au consommateur de garder la mémoire des caractéristiques de son produit.

 

Ce dispositif d'étiquetage des pneumatiques participe d'une tendance en cours de diffusion (l'obligation d'information sur la consommation énergétique a été récemment étendue aux écrans de télévision). La Commission européenne joue ici un rôle très significatif dans l'organisation de la concertation et l'édiction de normes crédibles.

 

On peut bien sûr trouver la démarche insuffisante. Par exemple, le dispositif prévu ne fournit aucune indication sur la durée de vie du produit, qui est pourtant une variable critique du coût d'usage complet. Sur son site, Michelin le déplore. Mais qu'est-ce qui empêche le leader du pneumatique de surenchérir par rapport aux obligations légales et de s'engager dans une démarche volontaire d'évaluation et d'information sur la durabilité de ses produits. Il serait ainsi en mesure de crédibiliser davantage son objectif affiché : "proposer aux consommateurs les pneus présentant le meilleur équilibre de performances : économie de carburant, adhérence, longévité"...

 

On suivra avec intérêt l'effet de ce règlement sur l'évolution des formes de la concurrence sur le marché des pneumatiques, sur la qualité des produits et l'économie de ressources.

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25 octobre 2010 1 25 /10 /octobre /2010 12:36

Ci-dessous le texte d'un interview que j'ai donné à l'Ujjef - Communication et Entreprise, mise en ligne sur son site sous le titre "l'économie de l'immatériel change radicalement la philosophie de la communication et sa mise en pratique".

 

 

Qu'entendez-vous par capitalisme de l'immatériel ?

 Philippe Moati : L'économie (ou le capitalisme) de l'immatériel est une expression qui entend mettre en avant deux aspects fondamentaux du capitalisme contemporain :

- Le premier pilier est l'importance de la connaissance.
Si elle est fondamentale pour se différencier, elle est aussi essentielle pour créer du nouveau. Une entreprise ne peut donc se passer d'elle et doit veiller à la nourrir de différentes manières : par le développement de ses compétences "cœur de métier", l'adoption d'une organisation apprenante, la capacité d'absorber les ressources cognitives externes...

- Le deuxième pilier de cette économie est la dimension servicielle. Peu à peu, la transaction commerciale symbolisée dans le capitalisme industriel par la transmission d'un droit de propriété sur un bien laisse place à une approche nettement plus relationnelle et servicielle. Le rôle du "prestataire" devient autre : il va devoir trouver la solution au problème de son client et générer pour lui des effets utiles.

Quelle est l'importance de la marque dans ce nouveau contexte ?

Philippe Moati : Dans le passé, la marque était apparentée à des produits auxquels elle ajoutait une dimension symbolique différenciatrice. Peu à peu, les marques se transposent du produit à l'entreprise dans sa globalité. D'une certaine manière, leur champ d'action s'étend au-delà de la valeur symbolique pour répondre à des aspirations et des demandes psycho-sociales éminemment plus larges. La marque joue le rôle d'agrégateur, elle représente la philosophie de l'entreprise, ses valeurs, et pour ses consommateurs, le rattachement à une communauté d'idées, voire un lien social. La consommation a pris une telle importance dans le fonctionnement des sociétés occidentales que la dimension sociétale des marques s'est considérablement renforcée. Il leur faut donc se positionner clairement et sincèrement sur un système de valeurs dans lequel leurs clients seront susceptibles de se reconnaître.

Comment penser la marque autrement ?

Philippe Moati : Devant des consommateurs plus avertis des rouages économiques, la marque doit représenter un signal compact et global. Alors que celle-ci a largement contribué au développement d'une consommation "déceptive" qui a conduit à ce qu'elle soit aujourd'hui en crise, elle doit recréer une relation de confiance avec les consommateurs. Outre la sincérité, cela passe par une logique d'engagement dans la nature des effets utiles qu'elle se propose de fournir à ses clients. En ce sens, elle ne doit pas simplement viser à séduire les consommateurs pour les amener à acheter ; elle doit être un soutien crédible et fiable dans l'acte de consommation par l'apport d'une valeur d'usage fiable et adaptée aux besoins.

Comment la marque peut-elle révéler la valeur immatérielle de l'entreprise ?

Philippe Moati : Le modèle centré sur la vente de produits, soutenue par une marque concentrée sur la stimulation du désir, me paraît à bout de souffle, et les entreprises qui lui restent fidèles auront de plus en plus de difficultés à s'extraire d'une concurrence féroce destructrice de valeur. La marque peut apporter une contribution active à la valeur immatérielle de l'entreprise à condition que celle-ci ait globalement changé de modèle, qu'elle adopte une véritable "orientation-client" et qu'elle se donne pour mission de produire des effets utiles et des solutions pour ses clients. Alors, la contribution de la marque à la valeur de l'entreprise passe par la légitimation d'un périmètre d'activité, l'évocation d'un registre de valeurs, et l'engagement dans la relation avec ses clients - au-delà de l'achat - dans l'acte de consommation.

Quelles sont les conséquences prévisibles sur la communication ?

Philippe Moati : Cela change radicalement la philosophie de la communication et sa mise en pratique ! Même si son but sera toujours de donner envie d'acheter, elle ne pourra plus utiliser les mêmes arguments. Elle devra forcément prendre en compte le déplacement de l'intérêt du consommateur qui ne portera plus sur le produit en tant que tel mais sur les effets utiles de toutes sortes qui découlent de son usage. Le moment de consommer deviendra l'heure de vérité. Une des missions de la communication sera par conséquent d'engager et d'entretenir une relation de confiance avec les consommateurs, nouée autour de la mission que se donne l'entreprise pour servir ses clients.

Concrètement, quels seront les grands changements à opérer en matière de communication ?

Philippe Moati : Les effets sur la communication seront les suivants :

1. Créer un contenu clairement informatif : ne pas se contenter de rester sur l'apparence des choses mais s'engager concrètement sur la nature des effets utiles. Pour apporter des solutions sur mesure aux consommateurs, il s'agit désormais de révéler l'invisible. Un énorme travail d'évaluation et de normalisation sera préalable à toute communication : évaluation et qualité des produits, potentiel de réponses aux problèmes des clients...

2. Entrer dans une logique servicielle :
cela n'est possible qu'à partir du moment où le consommateur accepte de se livrer et de confier ses problématiques à l'entreprise. C'est ainsi qu'il se rend volontairement captif ! Etablir une telle relation de service demande du temps et de la confiance. Rien de pire dans un tel schéma qu'une déception !

3. Pour ce qui est de la dimension symbolique de la marque, l'ancrer dans un système de valeur cohérent avec la mission de l'entreprise et qui témoigne, là aussi, d'un engagement sincère.

Et quelles postures une marque devra-t-elle éviter à tout prix ?

Philippe Moati : D'abord, vouloir rendre le consommateur captif sans soi-même s'engager dans une relation honnête où le dialogue est réellement privilégié... Ensuite, pratiquer l'autisme qui consisterait à générer une relation non fondée sur l'écoute réelle du consommateur ; enfin, engager des budgets colossaux en marketing et communication uniquement pour se faire entendre, se démarquer de son rival, et stimuler un désir éphémère.
Autrement et simplement dit, la marque doit être utile.

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