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Ce blog va bientôt cesser d'exister, tout du moins de manière autonome. Le blog de l'Observatoire Société et Consommation (L'ObSoCo) prend progressivement la suite. D'ores et déjà les archives de ce blog y ont été transférées et chaque nouveau billet posté ici est également publié sur le site de l'ObSoCo. Je partagerai le blog de l'ObSoCo avec Nathalie Damery et Robert Rochefort, qui ont fondé avec moi l'Observatoire Société et Consommation, ainsi qu'avec l'ensemble des membres du Cercle de l'ObSoCo... A suivre !!

 

 

http://www.asso-lobsoco.org/le-blog-de-l-obsoco.html

 

 

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 22:02

Voici le texte de ma contribution à l'ouvrage collectif "Une croissance intelligence... demandons l'impossible", édité sous la direction de Philippe Lemoine. Dans ce texte, je poursuis ma réflexion sur l'économie des effets utiles, en développant notamment la notion de "pouvoir de consommation".

 

Précipitez-vous sur l'ouvrage ! Il rassemble un ensemble de textes qui ouvrent des perspectives stimulantes pour refonder la croissance.

 

 

 

Les développements qui suivent partent de cinq présupposés. Comme tout présupposé, ils relèvent davantage de l’intuition argumentée que de la démonstration.

 

1)      Même si de nouvelles formes d’organisation de l’activité productive  (coopératives, « social business », communautés du libre…) sont en développement et justifieraient des politiques de soutien, l’essentiel de la production continuera pendant longtemps de provenir de l’activité d’entreprises capitalistes.

 

2)      Le modèle de croissance actuel, en particulier les manières de produire, de distribuer et de consommer les richesses, est insoutenable à moyen et long terme sur le plan environnemental, en particulier s’il se diffuse aux pays émergeants à populations importantes.

 

3)      La consommation est au cœur de la culture occidentale. De manière générale, la population demeure très attachée à l’hyperconsommation et, si les consommateurs se montrent de plus en plus réceptifs aux problématiques environnementales, rares encore sont ceux qui ont entrepris ou envisagent d’entreprendre un changement radical de leur mode de vie qui s’accompagnerait d’une réduction de leur consommation. Corolaire : la question du pouvoir d’achat, qui a été en tête des préoccupations des Français au cours des dernières années, continuera de l’être dans les années à venir. Ne pas répondre à ces attentes revient à prendre le risque d’aggraver la sinistrose qui s’abat sur les classes moyennes et qui entretient le populisme.

 

4)      Les défis à relever sont trop importants et imposent des changements trop radicaux pour prendre le risque de ne tabler que sur l’adoption spontanée par les acteurs économiques – entreprises et consommateurs – de comportements teintés de davantage d’éthique et de responsabilité. Nous n’entrerons pas dans le débat sur la nature humaine, sur la prédominance des orientations égoïstes ou empathique. Mieux vaut pécher par excès de pessimisme en partant du postulat que les entreprises recherchent avant tout la maximisation de leur profit et les consommateurs celle de leur « utilité », plutôt que de surinvestir dans les bonnes volontés. Adopter la seule contrainte comme levier de changement risque, si elle heurte la logique des acteurs, de faire l’objet de stratégies de contournement la vidant d’une grande partie de son efficacité. En conséquence, il convient de faire en sorte que les acteurs soient amenés, dans la recherche de leur intérêt propre, à contribuer à l’atteinte des buts collectifs. Autrement dit, les conduire à « internaliser les externalités ».  

 

5)      Un capitalisme sans croissance est difficilement concevable. A court et moyen terme, la croissance est requise pour résorber le chômage, assainir les finances publiques, assurer le financement de la protection sociale. De façon plus structurelle, le capitalisme se conçoit difficilement sans cette énergie qui le fait aller de l’avant. La croissance est inscrite dans le fonctionnement de l’entreprise capitaliste. Brider la croissance à l’échelle macroéconomique conduirait très certainement à une concurrence sauvage entre les entreprises dont les conséquences notamment sur l’emploi sont difficiles à prévoir. Ce n’est donc pas à la croissance en tant que telle qu’il convient de s’attaquer mais à une certaine configuration du capitalisme qui charrie trop d’effets négatifs, afin de jeter les bases d’un régime de croissance permettant de réconcilier l’économie avec des objectifs collectifs tels que la réponse au défi écologique, la cohésion sociale, et le bien-être des populations.

 

Notre angle d’attaque est partiel. Il se concentre le modèle de consommation. En tant que débouché ultime du circuit économique, la consommation finale des ménages exerce une influence quantitative et qualitative, directe et indirecte sur l’ensemble du système productif. Une « autre croissance » passe nécessairement par une transformation du modèle de consommation. La consommation est un point d’articulation entre l’économique et le social, entre le collectif et l’intime. La transformation du modèle de consommation suppose son acceptation sociale. Une perspective qui se contenterait de mettre en avant la nécessité de consommer moins (même si c’est aussi pour consommer mieux), de culpabiliser les consommateurs… risque de se heurter à d’importantes résistances. Les attentes en matière de pouvoir d’achat sont fortes et, malheureusement, les prochaines années devraient se révéler difficiles sur ce plan. Les tensions sur les cours des matières premières – un temps mises en sourdine par la crise – se manifestent de nouveau. Entre la croissance de la demande mondiale associée à l’essor des économies émergentes, la raréfaction des gisements de certaines matières premières et les premières conséquences du dérèglement climatique sur les récoltes de produits agricoles, les ingrédients sont réunis pour laisser craindre une tendance durable à la hausse des cours. Face à la hausse des prix, les perspectives de compensation par la progression des revenus sont minces, en raison des difficultés persistances à relancer l’activité, du déficit de compétitivité internationale de la production industrielle qui invite à une modération salariale compétitive, du maintien à un niveau élevé du chômage… A cela s’ajoute la priorité accordée à l’assainissement des finances publiques et, à plus long terme, la question du financement de la protection sociale. Le malaise exprimé par les Français lors de l’épisode inflationniste de 2007-2008 a commencé de ressurgir. Les catégories les plus modestes sont les plus directement touchées. Les autres vivent la frustration d’un pouvoir d’achat qui n’est pas à la hauteur de leur appétit de consommation. On peut tabler sur l’hypothèse que la demande sociale en matière de pouvoir d’achat va demeurer très forte, voire s’intensifier au cours des prochaines, sommant le pouvoir politique de trouver des solutions.


Si l’on continue de raisonner à l’ancienne, les pistes d’action sont connues et ont déjà été profondément labourées. La plus évidente consiste à rechercher le salut dans la relance de la croissance. Souvenons-nous qu’à peine installé à l’Elysée, Nicolas Sarkozy, le « président du pouvoir d’achat », a formé une commission chargé de lever les obstacles à l’obtention du fameux point de croissance supplémentaire. On connait la suite. Une deuxième piste – elle aussi largement exploitée par le gouvernement – porte sur le dénominateur du pouvoir d’achat : les prix. Au travers notamment de la Loi de modernisation de l’économie, le gouvernement a cherché à introduire davantage de concurrence sur les marchés, à favoriser le développement des offres low cost, à libéraliser le régime des promotions dans le commerce afin de multiplier pour les consommateurs les occasions d’acheter à prix barrés. Ces deux pistes ont montré les limites de leur efficacité. Mais, plus grave, elles conduisent à entretenir un modèle de consommation et, plus généralement, un régime de croissance dans l’impasse.

 

Comment donc répondre à la demande sociale de croissance du pouvoir d’achat tout en s’engageant dans la voie d’une nouvelle croissance qui soit, en particulier, soutenable sur le plan environnemental ? L’idée que nous souhaitons développer ici repose sur la dissociation à opérer entre l’achat et la consommation, entre les produits et les effets utiles[1] qui en sont issus, bref sur la mise en place d’un nouveau modèle de consommation. Les germes de ce nouveau modèle sont déjà présents. Il s’agit d’en accélérer le développement et de l’orienter au mieux des objectifs collectifs. Pour cela, il convient de réfléchir à des dispositifs de régulation qui favorisent le déplacement l’objet de la transaction marchande des marchandises vers les effets utiles pour les consommateurs et la société, de manière à fonder un régime d’accumulation orienté vers la qualité et la croissance des services rendus, ceci dans le cadre de modèles économiques d’entreprises favorisant l’internalisation de la sobriété environnementale. Cela suppose que la priorité politique se déplace de l’objectif de croissance du pouvoir d’achat – au sens de capacité à acheter des produits – vers celui de la croissance du pouvoir de consommation ou de pouvoird’usage – au sens de la capacité d’accès à des effets utiles. Cette démarche consiste à viser la maximisation des effets utiles par euro dépensé et, dans le même mouvement, l’élévation du rapport entre les effets utiles fournis et les ressources naturelles consommées, en cohérence avec une stratégie d’ensemble visant à passer d’une économie centrée sur la croissance quantitative de la production de marchandises à une économie vouée à la production d’effets utiles.

 

Un modèle de consommation à bout de souffle

Le modèle de consommation hérité du capitalisme industriel est à bout de souffle, pour au moins trois raisons.


D’abord, il se trouve au premier rang des accusés pour ce qui est des atteintes à la planète. La diffusion rapide de ce modèle aux populations des pays émergeants rend sa révision indispensable et urgente. Ce point a été suffisamment argumenté pour qu’il ne soit nécessaire de s’y étendre.

 

Ensuite, alors que la félicité consommatoire est au cœur de l’appareil de légitimation du capitalisme, les tensions multiples qui pèsent sur la dynamique du revenu des populations font de la stimulation permanente du désir d’acheter une source puissante de frustration. Le fait que le système ait affuté son expertise dans la stimulation de l’envie d’acheter mais ne donne plus les moyens de la satisfaire contribue à expliquer pourquoi le pouvoir d’achat se hisse aux premiers rangs des préoccupations des ménages et constitue un thème majeur du débat politique. Dans le contexte conjoncturel rappelé plus haut, persister dans un modèle quantitatif ne peut conduire qu’au mécontentement de la population et à la dégradation des performances des entreprises en raison de la baisse des quantités vendues et/ou de la pression sur les prix et du déplacement de la demande vers les produits les moins chers, souvent importés.

 

Enfin, les consommateurs semblent être de plus en plus nombreux à ressentir de la déception par rapport aux promesses de la société de consommation. Ce n’est pas l’appétence à la consommation en tant que telle qui est remise en cause, tout du moins pour ce qui est de la grande majorité de la population ; il semble plutôt que les consommateurs, plus réflexifs, aient gagné en lucidité quant au-dessous des cartes, la divergence des intérêts entre les vendeurs et leurs clients, les défaillances de l’offre sur le plan de la qualité ou de la durabilité, les limites d’un certain marketing qui sur-promet et élève le prix des produits sans véritable contrepartie en termes de bénéfices-clients… Autrement dit, la défiance s’est répandue sur les marchés à mesure qu’enflait la dimension déceptive de la consommation. Les observateurs des comportements de consommation relèvent la montée d’une aspiration à « consommer autrement ». Sur la base des données disponibles, le contenu de cette aspiration semble s’appuyer sur trois polarités : donner du sens et de l’éthique à sa consommation, en particulier en prenant en compte son impact environnemental ; veillez à l’innocuité pour la santé de ce qui est consommé, voire, en positif, faire de la consommation en facteur d’« empowerment », un instrument au service du la recherche du bien-être physique et psychologique, de la volonté de réalisation personnelle et du désir de puissance caractéristique de l’individu hypermoderne ; enfin, optimiser sa dépense en privilégiant le rapport qualité-prix parmi les critères d’achat, en évitant le gaspillage (ce qui rejoint la préoccupation environnementale), la surqualité, la pseudo-innovation, la fausse bonne affaire… Ces facteurs semblent se conjuguer pour renforcer l’attente d’une meilleure qualité de ce qui est consommé. Dans son édition 2010, l’enquête de l’Observatoire Celetem a interrogé les consommateurs de 12 pays sur ce à quoi ils seraient prêts à consentir pour obtenir des prix plus bas dans les magasins. « Avoir des produits présentés plus simplement » arrive très largement en tête en recueillant près de 81 % d’avis favorables. Ensuite, c’est sur la présence de caissières et de vendeurs, sur le confort d’achat, sur l’étendue du choix… que les consommateurs sont prêts à faire des sacrifices. « Accepter une qualité moindre » se classe en dernière position des onze items proposés (13 %).

 

La fondation d’un nouveau régime de croissance passera nécessairement par la refondation du modèle de consommation. Le régime de croissance des Trente glorieuses s’est fondé sur l’alliance du patronat et des salariés au travers du « compromis fordien », à une époque où la structuration sociale comme la construction identitaire reposait très largement sur le travail. Aujourd’hui, eu égard au niveau du taux d’activité et de la position que la consommation occupe dans la culture des sociétés occidentales, le système d’alliances sur lequel pourra s’appuyer la construction d’un nouveau régime de croissance comportera très certainement une alliance entre les entreprises et les ménages autour d’un nouveau modèle de consommation mutuellement et durablement profitable.

 

Dépasser le modèle quantitatif associé au capitalisme industriel

Fondamentalement, la relation marchande peut s’analyser comme une relation de service au cours de laquelle le vendeur et l’acheteur coproduisent des effets utiles. De même que, dans l’entreprise, les véritables inputs ne sont pas les facteurs de production mais les « services productifs » issus de la mise en œuvre du patrimoine de ressources mobilisées en son sein (E. Penrose), les effets utiles retirés par le client de la relation marchande ne peuvent se réduire à la marchandise objet de la transaction, mais découlent des services rendus par les ressources engagées en vue de la satisfaction du besoin, aussi bien par le vendeur que par l’acheteur. Des produits tangibles fabriqués par le vendeur peuvent figurer au rang de ces ressources, aux côtés de ressources intangibles telles que des compétences, des savoir-faire, une image de marque… La production d’effets utiles pour le client implique aussi la mobilisation de ressources qui lui sont propres afin, d’une part, d’orienter le déploiement des ressources du vendeur de manière pertinente par rapport la nature des effets utiles recherchés, mais aussi afin d’extraire le potentiel d’effets utiles issus des services fournis par le vendeur. Cette nature servicielle de l’échange se retrouve à l’état pur dans l’artisanat : l’objet de l’échange ne préexiste pas à la relation ; c’est par les interactions entre l’artisan et son client que le premier identifie de quelle manière il va déployer ses ressources productives afin de permettre au second d’accéder aux effets utiles recherchés. Cet accès suppose que le client fournisse effectivement à l’artisan les informations pertinentes, en amont, mais aussi en aval de la transaction afin que la production d’effets utiles puisse s’ajuster aux variables de contexte, à l’évolution du problème à résoudre, que les ressources soient entretenues, ajustées, mises à jour…. Il dépend aussi de la manière dont le client va mettre en œuvre les ressources obtenues du vendeur, ce qui peut mettre en jeu ses propres compétences, son temps, des produits complémentaires, la mobilisation de ses réseaux sociaux… Si l’on admet que la disposition du client à payer dépend de la valeur d’usage attribuée à ce qui naît de la relation, alors la qualité des contributions de l’acheteur à la production des effets utiles est aussi un ingrédient de la création de valeur pour le vendeur.

 

Le capitalisme industriel, en plaçant le produit sur le devant de la scène, a pris ses distances par rapport à cette approche de la relation marchande. Dans ce cadre, à l’extrême, l’activité productive consiste à mobiliser des facteurs de production génériques – du travail simple et des machines standardisées - pour assurer la transformation de la matière - la production de marchandises par des marchandises – en vue de la mise sur le marché de biens, véhicules d’une valeur d’échange assurant la rentabilité de l’opération. La réalisation de cette valeur d’échange (que les économistes classiques ont cru pouvoir ramener à la quantité de travail direct et indirect impliqué dans la production) par la vente de biens suppose qu’une valeur d’usage leur soit reconnue par des acheteurs. C’est là le principal mode d’interaction entre l’offre et la demande.

 

Le modèle économique d’entreprise associé à ce mode de fonctionnement de l’économie est profondément quantitatif. La réalisation de gains de productivité – c’est-à-dire d’une plus grande efficacité dans les opérations conduisant à la transformation de la matière – est au cœur du modèle. Les gains de productivité sont issus de la mécanisation de la production et de l’intensification de la division du travail, deux leviers générateurs d’économies d’échelle. L’ampleur des gains de productivité est donc conditionnée par l’importance des débouchés, cette dernière dépendant en retour de l’importance des gains de productivité qui améliorent l’accessibilité financière aux produits pour les consommateurs. Ainsi, produire en grande quantité ouvre la possibilité de vendre en grande quantité. Mais produire en grande quantité suppose de rationaliser la production, de standardiser les produits, de simplifier les modalités de la relation avec les clients. La dimension servicielle de la relation marchande passe alors au second plan, si elle ne disparaît pas purement et simplement devant la mise en avant du produit. L’activité productive est alors tournée vers la mise sur le marché d’artefacts dont les caractéristiques sont définies sur la base de ce qui est perçu comme étant le point de convergence de la demande du plus grand nombre. L’influence de la demande sur la configuration de l’offre n’est, au mieux, qu’indirecte au travers de la réalisation d’études de marchés, de procédures de normalisation, de conventions, ou de la force de rappel que constitue le succès ou l’échec commercial perçu sur l’angle des quantités vendues. Les effets utiles sont supposés être entièrement incorporés au produit. Effets utiles et produit se confondent si bien que c’est le produit qui constitue l’objet de l’échange. La relation étant concentrée sur la transaction (le moment de la réalisation de la valeur d’échange), la contribution des consommateurs à la production des effets utiles est très largement ignorée. Accéder aux effets utiles est supposé se limiter à l’appropriation de la marchandise porteuse de la valeur d’usage en s’acquittant du prix. Pour les entreprises, la maximisation du profit suppose de multiplier les transactions en continuant d’abaisser les coûts pour étendre le marché, en stimulant le désir d’achat, et en s’assurant qu’il se renouvèle régulièrement.

 

Pourquoi l’économie du produit est en cours de dépassement

Cette économie du produit a été à la base du régime de croissance fordien. Elle s’est fissurée avec la crise du fordisme. Pour notre propos, contentons-nous sur ce point de souligner les limites atteintes par les gains de productivité issus de l’exploitation intensive de facteurs de production génériques, mais aussi la prise de distance progressive des consommateurs vis-à-vis d’une offre standardisée, de qualité souvent médiocre, ne prenant pas suffisamment en compte la différenciation des attentes individuelles. En outre, les effets sur l’intensité de la concurrence de la conjugaison du ralentissement de la demande et de la mondialisation de l’arène concurrentielle ont dégradé les conditions de la rentabilité issue de la vente de produits standards. Pour échapper à l’érosion des marges, les entreprises se sont trouvées incitées à miser davantage sur la différenciation de leurs offres, via le marketing et l’innovation, et à tenter de répondre avec davantage de précision aux attentes des consommateurs en vue d’élever leur disposition à payer et de s’assurer de leur fidélité. Elles ont pu mobiliser à cet effet les formidables potentialités contenues dans les technologies de l’information et de la communication (NTIC). Cette évolution des stratégies d’entreprise a contribué à l’émergence d’un nouveau régime de croissance, une nouvelle étape du développement du capitalisme, que l’on peut qualifier de « capitalisme immatériel », non pas pour indiquer le passage à une économie qui serait devenue « post-industrielle », mais pour souligner l’importance prise par les ressources immatérielles dans le processus de création de valeur.

 

Le capitalisme immatériel est à la fois une économie de la connaissance et une économie du service. La différenciation de l’offre – et les rentes de monopole qui l’accompagnent – suppose la mobilisation de ressources spécifiques  (au sens de rares, non-échangeables et difficilement imitables) en complément ou en substitution des ressources génériques qui dominaient jusqu’alors les processus de production : avance technologique, capacité d’innovation, intelligence du marché, marques fortes, capital de confiance… La création de ces ressources spécifiques ainsi que leur mobilisation effective dans le processus de création de valeur implique des révisions profondes des formes d’organisation des entreprises par rapport à l’archétype de la firme fordienne. Les NTIC sont à cet égard un puissant allié. Formidable démultiplicateur de la capacité créatrice, elles mettent en réseau les connaissances et les intelligences, à l’intérieur et au-delà des frontières de l’entreprise. L’avènement d’une économie du service résulte du durcissement de la contrainte de débouché pour la réalisation de la valeur. Il faut progressivement apprendre à penser à l’envers, à partir de l’identification des attentes des clients, des potentialités de marché, pour ensuite déployer les ressources pour la construction d’offres pertinentes prenant en compte l’hétérogénéité de la demande dans le but de fidéliser les clients. D’où la formidable montée en puissance du marketing dans les entreprises, qui s’appuie là aussi sur les potentialités des NTIC à la fois pour améliorer la connaissance microscopique de la demande et pour tisser une relation à la fois plus dense et davantage personnalisée avec les clients.

 

Le travail long et complexe consistant à faire in fine de la connaissance et des services issus de la connaissance le principal ingrédient de la création de valeur pour l’entreprise via la différenciation et une meilleure capacité de réponse à la demande n’est sans doute pas achevé. S’il est bien avancé dans les relations inter-entreprises, notamment là où de puissants clients sont en mesure d’exiger un changement d’approche radical de la part de leurs fournisseurs, il n’en est encore qu’à ses balbutiements sur les marchés de consommation, qui demeurent pour l’essentiel ancrés dans l’économie du produit. Le nouveau régime de croissance ne serait être totalement installé tant que la satisfaction de la demande finale continuera de s’appuyer sur des modèles du passé.

La nécessaire entrée des marchés de consommation dans l’économie des effets utiles

Le mot d’ordre dans la plupart des grandes entreprises œuvrant sur les marchés de consommation est devenu « l’orientation-client » ou l’adoption d’une démarche « customer-centric ». La montée en compétence en matière de marketing et, plus généralement, dans l’intelligence des marchés est incontestable comme l’est aussi l’enrichissement de la relation marchande, ainsi que le révèle le développement du marketing « relationnel » auquel les nouvelles technologies ouvrent chaque jour de nouveaux champs d’application. Pour autant, le modèle économique du produit et la relation marchande « industrielle » demeurent la règle.

 

Les entreprises s’appuient sur l’amélioration de leur connaissance des clients pour asseoir des stratégies de segmentation-différenciation qui visent la stimulation de la demande afin d’entretenir une culture d’hyperconsommation. La logique dominante restant celle du produit, les efforts engagés au travers de la mobilisation des ressources immatérielles visent en priorité à rendre les produits désirables pour déclencher et multiplier les transactions. Avec l’élévation du niveau de vie et la saturation des besoins primaires, les ressorts des comportements d’achat font une place croissante aux facteurs socio-psychologiques, que le marketing cultive au travers de la valeur symbolique des produits. Au-delà de la fonctionnalité qui constitue leur raison d’être, les produits sont les véhicules de signes, de symboles, d’imaginaires, de valeurs auxquels les clientèles-cibles sont supposées s’identifier, adhérer et, au travers de leur consommation, construire leur identité, affirmer leur statut, revendiquer leur appartenance à des communautés… L’innovation est principalement orientée vers l’entretien de l’intérêt pour les produits par l’accélération du rythme de leur renouvellement. Les grandes entreprises ont trouvé dans le couple approvisionnements en provenance des pays à bas salaires/création de valeur symbolique un levier de croissance et de rentabilité qui prend le relais des gains de productivité associés au capitalisme fordien.

 

Ces nouvelles modalités de stimulation de la demande contribuent à la montée de la charge déceptive de la consommation. Autant les promesses sont relativement faciles à tenir lorsqu’elles portent sur les attributs fonctionnels des produits, autant le risque de sur-promesse est élevé lorsqu’on cherche à associer la consommation d’un produit à des objectifs aussi ambitieux que le bien-être psychologique, le plaisir, la réalisation de soi, une sociabilité réussie, la capacité de séduction, voire, la joie ou le bonheur. La course à l’innovation génère de la pseudo-innovation dont le but principal est d’inviter à jeter aux gémonies le produit qui était si désirable hier afin de le remplacer par un nouveau, plus performant, plus beau, plus… nouveau. L’ « obsolescence programmée » découle naturellement de cette logique, qu’il s’agisse de concevoir et de fabriquer les produits de manière à limiter leur durée de vie, ou de réussir à convaincre le consommateur que ceux dont il dispose sont dépassés ou démodés et qu’il convient de les remplacer sans tarder. L’activation de ces registres peut susciter de manière éphémère excitation, désir et plaisir chez les consommateurs, mais elle peut également conduire à la frustration, à la déception et à la défiance, entretenues par le fait que le déplacement des sources d’approvisionnement en faveur des pays à bas salaires s’accompagne souvent d’une dégradation de la qualité des produits. La défiance peut laisser place à la colère lorsque les compétences des entreprises sont mises au service de stratégies de verrouillage des marchés au travers de la construction de barrières à l’entrée des concurrents, de la création de standards propriétaires, de l’exploitation des multiples sources de rendements croissants… et qui conduisent à abuser de l’état de dépendance dans lequel se trouvent alors les clients, par l’établissement de coûts de sortie, la pratique des ventes liées, des prestations de piètre qualité…

 

C’est précisément par rapport à ces considérations que l’attitude des consommateurs semble avoir récemment commencé de changer, sans doute à la faveur du durcissement de la contrainte budgétaire et de la progression de la sensibilité aux enjeux écologiques. La « crise des marques » en constitue un symptôme. Les enquêtes indiquent en effet une perte d’attrait général des marques, ce qui s’illustre en particulier par l’emprise croissante des marques de distributeurs et le succès des offres low cost recentrées sur la fonctionnalité. Pour vaincre les réserves et convaincre les consommateurs d’acheter toujours plus, les acteurs de l’offre se sont lancés dans une course effrénée à l’ « utilité transactionnelle », s’écartant ainsi davantage encore d’une logique de fourniture d’effets utiles. L’objectif est de provoquer l’acte d’achat, non pas par la mise en avant de la valeur d’usage (fonctionnelle et symbolique) du produit, mais en tentant de faire de l’acte d’achat en lui-même un facteur d’utilité pour les clients. L’un des leviers activés pour cela est sans doute aussi vieux que le commerce : susciter chez l’acheteur le sentiment d’être face à une bonne affaire qu’il serait déraisonnable de laisser passer. Un autre levier consiste dans la théâtralisation de la marchandise et le développement de la dimension expérientielle de l’acte d’achat afin de stimuler l’achat d’impulsion. La montée en compétence des acteurs de l’offre affute leurs savoir-faire en matière de création d’utilité transactionnelle, que ce soit par les innovations en matière de tarification et de promotion ou par les progrès réalisé dans le merchandising, l’aménagement des points de vente, la stimulation polysensorielle… Dans tous les cas, la relation marchande s’écarte alors de sa finalité consistant à fournir des effets utiles pour devenir une fin en soi, directement destinée à la réalisation de la valeur d’échange. Une fois dégrisé, le consommateur peut sortir de ce type d’expérience culpabilisé ou déçu de se retrouver avec un produit, certes acheté à bon prix, mais mal adapté à son besoin, ou qui se révèle à l’usage bien moins admirable que ce qu’il paraissait en boutique. Lorsque la conscience se développe, que le doute s’installe, les consommateurs peuvent déployer des comportements en retour, que l’on recouvre souvent de l’expression « achat malin » : collecte de plus en plus systématique d’informations avant l’achat, arbitrage, mise en concurrence, recherche du prix barré, exploitation des promotions… Si pour certains consommateurs, l’achat malin peut s’assimiler à une pratique de loisir, pour la plupart il est devenu un mal nécessaire, une réaction à la peur d’acheter au prix fort, de devenir victime de la complexification des stratégies tarifaires des vendeurs. Au total, ce sont les coûts de transaction qui s’élèvent, avec le crainte permanente de se « faire avoir ».


Des signes encourageants

La diffusion de « l’achat malin » témoigne également de mise en place de comportements de consommation favorables à un changement de modèle. Le climat de défiance encourage des comportements actifs de recherche d’information sur la qualité des biens et la dispersion des prix, d’arbitrage, de marchandage, qui affectent les formes de la concurrence sur les marchés. Cette évolution encourage les entreprises à renforcer leur « orientation client », à se mettre à l’écoute des consommateurs pour renforcer leur image, leur capital relationnel. Ici ou là, l’accent est mis sur la qualité des biens, sur l’assistance aux consommateurs dans l’usage, sur la continuité du service, jetant les bases du passage à une économie des effets utiles.

 

A mesure que les entreprises approfondissent leur orientation-client, elles prennent davantage conscience de l’évidence selon laquelle la demande des consommateurs porte moins sur les produits en tant que tels que sur les effets utiles qu’ils ont susceptibles d’en tirer, sur la recherche de solutions à des problèmes de consommation. L’étape – décisive – qui reste à franchir est celle du passage de la fourniture de produits à la coproduction d’effets utiles et à l’apport de solutions. Cela suppose l’adoption de  modèles économiques de nature servicielle. On retrouvera alors l’essence de la relation marchande consistant dans l’offre de services par la mobilisation des services productifs de ressources spécifiques, le produit retrouvant son statut de simple support matériel engagé dans le processus de coproduction d’effets utiles. Un tel modèle serait de nature à réconcilier la consommation et le développement durable s’il parvient à dissocier la rentabilité de la quantité de produits vendus pour la faire reposer sur la valeur ajoutée issue de la qualité des effets utiles issus de la relation de service. On aura reconnu le modèle de l’économie de la fonctionnalité, qui constitue le point d’horizon d’une économie des effets utiles. Ce modèle, aujourd’hui cantonné à un petit nombre de marchés interentreprises, est trop éloigné des modèles économiques associés au capitalisme industriel pour que l’on puisse imaginer sa diffusion rapide à large échelle sur les marchés de consommation. Un processus par étape doit être envisagé, canalisé par l’adaptation du cadre institutionnel qui régule le fonctionnement des marchés.

Orienter le marché des biens vers la fourniture d’effets utiles

La première étape consiste à orienter le fonctionnement des marchés de produits vers la fourniture d’effets utiles. Les marchés restent centrés sur la transmission de droits de propriété sur des produits, mais ceux-là sont désormais pleinement conçus comme des ressources contribuant à la fourniture d’effets utiles pour les clients (et pour la société dans son ensemble), dont il s’agit d’optimiser les services productifs. A cette fin, la relation marchande s’étend de part et d’autre de la transaction.

 

En aval, il s’agit d’optimiser l’appariement consommateur/produit – de réussir l’ajustement qualitatif de l’offre à la demande – de façon à permettre à chaque client d’accéder au produit dont les caractéristiques sont les plus appropriés à la nature des effets utiles recherchés et, cela, dans les meilleures conditions de coût. Ceci suppose de produire et de diffuser une information pertinente – qui fait généralement défaut aujourd’hui - sur le potentiel d’effets utiles des offres concurrentes et leur coût d’usage complet[2].

 

Le bénéfice pour les consommateurs est évident : il réside dans la capacité à optimiser l’usage du pouvoir d’achat et d’améliorer le pouvoir de consommation en fondant le choix des produits sur une évaluation de la « valeur client »[3] s’appuyant sur des informations pertinentes et crédibles.

 

Le bénéfice environnemental se situe à différents niveaux. Tout d’abord, en permettant aux consommateurs désireux d’adopter un comportement de consommation « responsable », de disposer des moyens de distinguer les produits vertueux. Bien évidemment, la démarche d’évaluation des effets utiles peut déboucher sur une fiscalité de la consommation conduisant à intégrer dans le calcul du coût d’usage complet les externalités environnementales. Ensuite, en donnant les moyens aux consommateurs d’optimiser leurs dépenses, on réduit la dimension déceptive de la consommation et la tentation de corriger ses erreurs par de nouveaux achats et la mise au rebut des produits décevants et on offre les moyens de débusquer la fausse innovation. Informer les consommateurs sur les qualités effectives des produits et leur coût d’usage vise à objectiver les différences de qualité et doit conduire à l’évolution des modalités de la concurrence sur les marchés en direction de la qualité et de la durabilité. Selon une enquête récente, 54 % des consommateurs français considèrent ne pas être sûrs de la qualité des produits durables et 60 % déclarent qu’ils seraient davantage convaincus d’acheter plus de produits durables s’ils avaient des preuves concrètes de leur meilleure qualité[4].  

 

Aujourd’hui, les transactions sur les marchés des biens de consommation consistent pour l’essentiel dans la transmission de droits de propriété. Le déplacement de la focale de la fourniture de biens en soi vers la fourniture d’effets utiles via des biens peut conduire au développement d’autres modes de contractualisation entre les vendeurs et les acheteurs. On pense en particulier aux différentes formes de location, susceptibles à la fois de réduire le coût d’usage pour les consommateurs, d’ajuster la nature des effets utiles au caractère contextuelle des besoins, et d’économiser les ressources matérielles par l’intensification de l’usage des biens.

 

En aval de la transaction, il s’agit de mettre en place les conditions d’une coproduction efficace des effets utiles. Le consommateur doit être en mesure d’exploiter le mieux possible le potentiel d’effets utiles contenu dans le bien. La performance d’un produit n'est plus uniquement liée à ses attributs mais dépend aussi de la manière dont chaque client construit sa propre expérience de consommation.

 

La facilité d’utilisation du produit joue ici un rôle important, mais aussi les compétences du consommateur dans l’usage du produit. D’importants progrès ont été réalisé en matière d’accompagnement des consommateurs dans l’usage, allant de l’ergonomie des produits et l’élaboration de didacticiels jusqu’à la formation des clients que proposent aujourd’hui un nombre croissant d’enseignes de la distribution. Là aussi, les NTIC ont beaucoup apporté et apporterons de plus en plus.

 

Au cours du processus de consommation, des difficultés inattendues peuvent survenir qui compromettent la production des effets utiles attendus. Conseils et assistance sont alors requis. En la matière également, les choses avancent. Industriels et distributeurs sont de plus en plus nombreux à mettre en place des services d’assistance, les nouvelles technologies favorisant la mise en place de dispositifs permettant d’en maîtriser le coût. L’intensification de ce mouvement gagnerait à l’adoption de dispositions réglementaires imposant aux vendeurs un socle minimum d’obligations en matière d’assistance de leurs clients, complété par un dispositif de labélisation de qualité de ce service.

 

Enfin, si les effets utiles doivent-être la véritable finalité de l’échange et le produit un simple médiateur, les fournisseurs de produits doivent s’engager sur le potentiel d’effets utiles associé à leur produit. La forme de cet engagement est nécessairement différente selon la nature du produit. Pour les biens durables, elle consiste dans la garantie de la fourniture d’effets utiles sur une durée longue. Certains offreurs ont d’ores et déjà entrepris d’offrir une garantie allant très au-delà de la durée de la garantie légale (Kia garantit ses voitures 7 ans, Ikea ses meubles de cuisines et ses matelas 25 ans, Eastpak ses sacs 30 ans...). Nous avons récemment proposé d’étendre par étape la durée légale de la garantie du fabricant à 10 ans[5]. Lorsqu’un bien durable (un appareil électroménager, mais aussi un article maroquinerie ou un vêtement) est garanti sur une durée aussi longue, ce n’est plus tant le produit qui est vendu que son usage. Pour les biens et services non durables (i.e. consommés en un seul acte de consommation), ce sont les formules du type « satisfait ou remboursé » qu’il s’agit d’institutionnaliser. Pour la fourniture de prestation de services s’inscrivant dans la durée, il convient de réfléchir à l’instauration d’une obligation de continuité du service, qui reviendrait à introduire une obligation de résultat en lieu et place d’une obligation de moyens.

 

Les bénéfices pour les consommateurs de ce débordement de la transaction par l’aval se rapportent de nouveau à la dissociation entre le pouvoir d’achat et le pouvoir de consommation au travers de l’optimisation de l’usage des biens, de  l’allongement de leur durée de vie, de l’amélioration de la qualité de service… autant d’éléments venant réduire la charge déceptive de la consommation et optimiser les effets utiles obtenus de chaque euro dépensé. Sur le plan environnemental, des achats de biens qui tiennent leurs promesses limitent la fuite en avant dans le renouvèlement rapide. Obliger les fournisseurs à garantir les effets utiles les conduit à privilégier la qualité. Garantir 10 ans des produits sans y sacrifier sa rentabilité implique de concevoir les produits de manière à en accroître la durabilité, à faciliter leur entretien et leur réparation…

 

Vendre des solutions plutôt que des biens

La seconde étape sur la voie d’une économie des effets utiles consiste à faire des effets utiles, voire des solutions aux problèmes de consommation, le véritable objet de l’échange, ce qui revient à déplacer l’objet de la relation marchande des moyens vers les finalités.

 

Selon cette optique, la cession des droits de propriété sur le ou les produits intervenant dans la fourniture des effets utiles n’est plus nécessairement requise. Au contraire, dans le modèle d’économie de la fonctionnalité, le prestataire est incité à demeurer propriétaire des dispositifs matériels contribuant aux effets utiles, car l’optimisation du rapport « valeur d’échange de la contribution à la fourniture des effets utiles / coûts des ressources tangibles et intangibles mobilisés pour produire cette valeur » se trouve alors au cœur du modèle de rentabilité. Les produits sont alors conçus de manière à optimiser leur contribution à la fourniture des effets utiles recherchés (sans surqualité), pour durer, de manière à en faciliter la maintenance, le recyclage…

 

Un produit isolé n’est généralement pas en mesure d’apporter une solution à un problème de consommation, qui suppose le plus souvent de combiner, d’intégrer, des biens et services complémentaires dans l’usage. Offrir une solution implique ainsi de passer d’une offre de produits à une offre de bouquets. Un bouquet rassemble un ensemble de produits (biens ou services) complémentaires de la production d’une certaine gamme d’effets utiles, d’une solution à un problème de consommation. Nombre d’entreprises, dans l’industrie, les services et le commerce, ont entrepris ces dernières années de restructurer leur portefeuille d’activités, passant d’un principe de cohérence industrielle à une logique de bouquet. Pour autant, l’apport de la solution au client passe encore le plus souvent par la vente de biens, un à un, ou bien en bundle, selon un mode transactionnel classique.

 

La mise en place de véritables marchés de solutions reviendrait à faire évoluer considérablement la relation marchande en l’inscrivant dans un processus d’accompagnement du client dans la résolution du problème. La première étape d’un tel processus consiste dans l’établissement d’un diagnostic quant à la nature du problème à résoudre, ce qui suppose un véritable dialogue entre le prestataire et chacun de ses clients, base de la co-construction de la solution. Le prestataire mobilise ensuite ses ressources productives, ses compétences, ses moyens techniques… afin d’être en mesure, au moyen d’interactions avec les clients et en combinaison avec les ressources de celui-ci, de produire les effets utiles requis pour l’obtention de la solution. Des dispositifs assurant la remontée d’information sur les effets utiles effectivement produits doivent permettent au prestataire d’adapter en permanence son action. L’intervention du prestataire est ainsi régulièrement adaptée à la manière dont le problème se pose, aux effets déjà produits, aux variables de contexte… La relation génère ainsi un apprentissage de la part des deux parties, gage d’un gain d’efficacité dans la production des effets utiles. On retrouve l’esprit de la relation marchande artisanale, ou de la relation du patient à son médecin, les NTIC permettant aujourd’hui d’envisager la généralisation de ce type de relation marchande, à un coût compatible avec des logiques de marchés de masse.

Le bénéfice pour le client du passage d’une logique de produits à une logique de solutions par l’intermédiaire d’un bouquet découle de l’ex­ploitation d’effets d’intégration. Ces effets d’intégration s’expriment sous la forme d’une réduc­tion du coût de l’obtention de la solution et/ou de gains de perfor­mance pour le client. Ils sont liés à l’ajustement des ressources à la spécificité du problème à résoudre ainsi qu’à la qualité de l’intégration des formes, des fonctions et des interactions entre les différentes composantes du bouquet. Le bénéfice environnemental naît du découplage opéré entre le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise et la production d’artefacts physiques nécessaires à la fourniture des effets utiles.

 

La mobilisation de l’intelligence collective au cœur du nouveau modèle

Dans l’économie du produit associée au capitalisme industriel, les consommateurs sont cantonnés à un rôle passif : acheter, consommer et acheter encore. Ils interviennent indirectement dans l’orientation de la production au travers de l’image macroscopique que les études de marché et les chiffres de vente livrent de la nature de leurs attentes. L’économie des effets utiles implique une participation beaucoup plus active des consommateurs à la création de richesse. Les effets utiles étant – par nature – le produit d’une co-production liant les vendeurs à leurs clients, l’efficacité de la production d’effets utiles dépend de la qualité de cette co-production et de la contribution des consommateurs, pris individuellement, mais aussi collectivement.

 

Les NTIC favorisent l’émergence d’une intelligence collective des consommateurs qui est susceptible de devenir l’un des socles du nouveau régime de croissance. Là où le consommateur était isolé, mal informé et généralement muet, grâce aux réseaux informatiques, il peut désormais s’appuyer sur ses pairs, disposer d’une information croissante et prendre la parole. Comme évoqué plus haut, acheter de manière à optimiser le potentiel d’effets utiles associé à chaque euro dépensé suppose de pouvoir disposer d’une information qui est aujourd’hui, au mieux, partielle ; cette information porte moins sur les caractéristiques techniques des produits que sur leur potentiel d’effets utiles en situation d’usage. Elle doit être issue de procédures d’évaluation de la manière dont les produits se comportent à l’usage, de leurs fonctionnalités, de leurs performances, leur coût d’usage complet, mais aussi de leur impact environnemental, des conditions sociales de leur production…

 

Certaines entreprises se sont engagées dans cette voie sur un mode volontaire, ce qui pose la question de la crédibilité de l’information délivrée. Une avancée significative dans la direction d’une économie des effets utiles suppose l’engagement d’une démarche d’envergure consistant à constituer et à diffuser une information à la fois pertinente et crédible de nature à accroître le pouvoir des consommateurs d’orienter le contenu de la production. Cette démarche peut suivre une orientation « top-down » consistant à réunir l’ensemble des parties prenantes (producteurs, distributeurs, associations de consommateurs, Etat, ONG…) pour définir, catégorie de produits par catégorie de produits, les dimensions pertinentes de l’évaluation, les méthodologies adéquates pour réaliser cette évaluation et les formes adaptées de restitution des résultats. Une telle démarche a été engagée, notamment à la suite du Grenelle de l’environnement, mais d’une manière qui reste pour l’instant très concentrée sur la seule mesure de l’impact environnemental. Elle devrait être étendu à l’ensemble des dimensions du potentiel d’effets utiles contenu dans les biens, en particulier en direction des dimensions les plus susceptibles de figurer parmi les principaux critères de choix des consommateurs.

 

Mais Internet a déjà permis la mise en place d’une démarche alternative et complémentaire, décentralisée, laquelle, par la mise en réseau des consommateurs, est à l’origine de la formation d’une intelligence collective. On pense évidemment aux multiples forums dans lesquels les consommateurs partagent leurs expériences de consommation, aux avis et notations des produits sollicités par un nombre croissants de sites marchands - très prisés par les consommateurs avant la réalisation d’un achat – à l’origine d’une quantité déjà considérable et croissante de données produites, échangées et utilisées par les consommateurs (un exemple de l’user generated content évoqué par Philippe Lemoine). L’influence de cette intelligence collective sur le fonctionnement des marchés est déjà telle que les vendeurs cherchent à s’immiscer dans ces discussions, de manière licite (engagement dans les réseaux sociaux) ou non (publication de faux avis de consommateurs). L’accompagnement institutionnel du développement de cette intelligence collective est sans doute souhaitable, tant l’information qui en est issue revêt le caractère d’un bien commun. Il peut emprunter la voie de la mise en place de dispositions visant à renforcer la crédibilité des informations publiées. La Grande-Bretagne a récemment mis hors la loi la publication de faux avis de consommateurs. En France, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité réfléchit à la mise en place d’un label attestant de la sincérité des avis exprimés sur les blogs. Les comparateurs de prix, exploités par des entreprises privées au modèle économique discutable, pourraient faire l’objet d’un encadrement plus strict et être incités à tendre progressivement vers une comparaison des coûts d’usage. De manière plus générale, le partage d’information auquel se livrent aujourd’hui les consommateurs sur Internet est encore très centré sur l’acte d’achat : appréciation de la manière dont s’est déroulée la transaction, évaluation du produit immédiatement après sa réception. Cette information gagnerait à être complétée par la collecte de retours d’expérience tout au long de la vie du client avec le produit, permettant d’en préciser les performances, le type d’usage auquel il est effectivement le plus approprié, la fiabilité, la durée de vie…


La mobilisation de l’intelligence collective des consommateurs grâce aux réseaux informatiques ne se borne pas à la facilitation de l’optimisation du choix. Elle commence également à se manifester au stade de la consommation, dans l’assistance à l’extraction des effets utiles. Les communautés de consommateurs se multiplient, souvent à l’initiative des vendeurs. Elles permettent de mutualiser des expériences, de résoudre des problèmes, et, plus globalement, de construire une compétence collective en matière d’usage qui accroît la quantité d’effets utiles retiré des achats, ce qui va dans le sens de l’élévation du pouvoir de consommation. Ces communautés, qui sont de nature à offrir un service de qualité à un coût nul ou presque pour les vendeurs, constituent une forme d’externalité que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à tenter de capter. Car ces communautés n’ont pas simplement pour effet d’assister les clients et d’améliorer leur expérience de consommation ; elles participent d’un mouvement d’engagement des consommateurs en amont des processus de production. L’analyse de ce qui se dit au sein de ces communautés (mais aussi sur les réseaux sociaux, la blogosphère…) constitue une formidable rétroaction sur les conditions d’usage, les défauts des produits, les attentes d’amélioration… Les entreprises organisées pour « aspirer » ces données et les injecter dans leurs process trouvent là une autre forme d’externalité permettant de nourrir leur effort d’innovation et de canaliser la trajectoire de développement de leurs offres. A la pointe de cette intelligence collective, les consommateurs les plus impliqués (et les plus influents) sont de plus en plus couramment invités à participer activement à la réflexion sur le développement de nouvelles offres, à tester les nouveautés… voire à proposer des prototypes.

 

La constitution d’une intelligence collective des consommateurs constitue ainsi un formidable levier de développement de l’économie des effets utiles en raison à la fois de son rôle dans la relation marchande et les processus de consommation, mais aussi en tant formation d’un actif mobilisable à bon compte dans le processus de création de valeur par les entreprises. La mise au travail des consommateurs – au sens physique du terme – a été un levier exploité par le capitalisme industriel (« libre-service » dans les grandes surfaces, produits vendus en kit…). Pour reprendre l’expression de Michel Volle, désormais, c’est moins la « main-d’œuvre » des consommateurs qui intéresse les entreprises que leur « cerveau-d’œuvre » mis en réseau. C’est à la conclusion d’une alliance mutuellement avantageuse entre les consommateurs à l’origine de cette intelligence collective et les entreprises qui l’exploitent qu’il convient de s’atteler, notamment au travers de la révision du droit de la consommation et de l’organisation du mouvement consumériste. L’adoption du principe d’une « classe action à la française », dans ce cadre, peut constituer une étape utile, tant pour les nouveaux moyens qu’elle mettrait à la disposition des consommateurs que par le chantier de négociation entre les parties prenantes qu’elle ouvrirait.


Une autre forme d’intelligence collective est mobilisée dans la mise en œuvre des modèles économiques associés à la montée de l’économie des effets utiles. S’écarter de la vente de biens pour tendre vers l’offre de solutions suppose, on l’a vu, l’élaboration de bouquets de biens et services complémentaires dans l’usage. Une des difficultés de l’économie des bouquets réside dans la contradiction susceptible d’exister entre deux de ses caractéristiques fondamentales : la compétitivité d’un bouquet réside dans l’exploitation effets d’intégration entre ses composantes, qui font que le tout génère davantage de valeur que la somme des parties (solution plus efficace et/ou moins coûteuse). Ces effets d’intégration supposent une coordination étroite de la conception (voire de la production) des différents éléments du bouquet, en particulier sur le plan des interfaces qui gèrent leurs interdépendances ; le caractère composite d’un bouquet implique le plus souvent, pour le concevoir et le produire, la mobilisation de compétences hétérogènes qui s’oppose à l’incitation à la spécialisation cognitive induite par la course à l’innovation. Il existe deux manières de résoudre cette contradiction potentielle : 1) l’intervention d’un « intégrateur » qui conçoit une architecture et définit les interfaces et qui fédère les contributions d’une ensemble de fournisseurs/partenaires disposant de compétences spécialisées et complémentaires. 2) la modularité du bouquet par la définition d’interfaces standardisées (comme dans le cas des systèmes informatiques). Chacun de ces deux modèles présente son lot de vertus et de limites. Le modèle de l’intégrateur fait courir le risque de la formation d’un pouvoir de marché s’exprimant au travers de l’exploitation de la captivité du consommateur au sein de l’écosystème du prestataire. Le modèle de la modularité, qui repose sur la contribution d’un réseau ouvert beaucoup plus large, présente l’inconvénient d’entraver les innovations architecturales, qui sont souvent les plus radicales. Ces deux formes d’organisation de l’activité productive partagent d’opérer une division cognitive du travail par une mise en réseau des compétences. La qualité de la coordination de ces réseaux devient un facteur critique du processus de création de valeur. L’acquisition d’une position de force au sein de ces réseaux, permettant de capter la valeur née de l’intelligence collective qui y règne, devient du même coup un enjeu majeur. De ce point de vue, l’approche des bouquets par la modularité semble moins vulnérable aux tentatives de captage de

la valeur que le modèle de l’intégrateur.

 

Ces questions font rarement l’objet d’une réflexion en matière d’action publique (ou bien uniquement sous l’angle d’un droit de la concurrence très marqué par le capitalisme industriel). Une piste de réflexion sur les voies possibles d’une action publique dans ce domaine consiste, pour le plus grand nombre possible de bouquets répondant à une diversité de problèmes de consommation, à assurer les conditions de la plus forte modularité possible en conviant les « professionnels » à la définition d’un socle minimum de standards ouverts et partagés. Libre ensuite aux intégrateurs d’aller au-delà, d’offrir des fonctionnalités supplémentaires au travers de la mise au point d’architectures alternatives ou d’interfaces propriétaires, l’enjeu étant d’établir les conditions d’une mise en concurrence permanente des deux modèles et d’autoriser les consommateurs de passer de l’un à l’autre.

 

Conclusion

 

Les prochaines années risquent d’être peu réjouissantes sur le plan de la croissance du pouvoir d’achat des ménages, ce qui provoquera immanquablement l’augmentation du nombre de ménages en difficulté financière et le développement de la frustration de ne pouvoir satisfaire la soif de consommation. Ce contexte peut également être favorable à la diffusion de nouveaux comportements de consommation. Si la thématique de la « sobriété joyeuse » semble particulièrement difficile à tenir dans ce cadre, celle de la réduction du gaspillage, de l’optimisation de la dépense, de la qualité, de la consommation « utile »… peut bénéficier d’un accueil favorable. Paradoxalement, les temps qui viennent ouvrent une fenêtre d’opportunité pour la mise en place d’un modèle de consommation contribuant au socle d’un régime de croissance renouvelé.

 

L’enjeu majeur pour réussir cette transition nous semble devoir résider de la capacité à passer d’une logique de pouvoir d’achat à une logique de pouvoir d’usage et, en faisant des effets utiles l’objet de l’activité productive et le cœur de la relation marchande, opérer un certain découplage entre l’activité de production et la consommation de ressources naturelles, améliorer le rapport « effets utiles/atteintes à l’environnement ». Indépendamment des considérations environnementales, les entreprises ont engagé une trajectoire « d’orientation client » qui les inscrit dans cette direction. Il reste à affiner les modèles économiques. Le secteur du luxe témoigne de ce que l’on peut penser une économie rentable fondée sur la qualité, la durabilité et la valeur symbolique et lieu et place de la course aux volumes et de la consommation de matière. La viabilité économique des modèles serviciels est sans doute plus délicate, comme en témoigne la lenteur avec laquelle se diffuse le modèle de l’économie de la fonctionnalité. Il existe probablement un important réservoir de création de valeur pour les entreprises associé à l’établissement d’une véritable relation de co-production avec les consommateurs (pris individuellement et collectivement), les ressources engagés par les consommateurs dans la production des effets utiles, en amont et en aval de la consommation, pouvant servir de levier de valorisation de celles engagées par l’entreprise.

 

Cette économie des effets utiles en gestation repose fondamentalement sur la qualité des relations, l’efficacité des mécanismes de coordination : entre les vendeurs et leurs clients, au sein des communautés de consommateurs, entre les entreprises dotées de compétences spécialisées et complémentaires. Autant dire que c’est toute la conception théorique traditionnelle du marché comme lieu d’échanges ponctuels et anonymes (et les institutions – telle le droit de la concurrence – qui en ont été issues) qu’il s’agit de remettre en question.

 

Encourager les entreprises à s’écarter de l’autoroute balisée de modèles quantitatifs éprouvés pour explorer les chemins incertains des modèles serviciels sollicite l’intervention publique. La perspective de la mise en place d’une économie des effets utiles peut constituer un projet collectif autour duquel réunir les acteurs, engager le dialogue en vue de l’obtention de compromis entre les parties prenantes. Des incitations institutionnelles simples peuvent être mises en place rapidement, telles que l’allongement de la durée de garantie, l’engagement de démarches d’évaluation des produits et de leur coût d’usage, la recherche d’une modularité ouverte au sein des bouquets des biens et services complémentaires dans l’usage, la mise en place d’une fiscalité tenant compte de l’impact écologique, discriminant entre biens et services…

 

L’appareil statistique doit également s’adapter à la nouvelle donne et fournir les indicateurs permettant d’en suivre l’avancée. Comme le souligne Michel Volle dans son texte, les conventions de mesure de la richesse nationale, profondément teintées de la logique du capitalisme industriel, ne sont plus adaptées à enjeux de notre époque. La tâche consistant à leur substituer de nouveaux principes permettant l’évaluation de la production d’effets utiles ainsi que de l’ensemble des composantes du patrimoine de ressources qui en sont à l’origine est d’une redoutable complexité. Les réflexions et expérimentations en cours autour des « nouveaux indicateurs de bien-être » vont dans la bonne direction en cherchant à mesurer non pas des inputs (la production n’est pas une fin en soi) mais des « outcomes », comme l’état sanitaire et les conditions de vie objectives des populations, le degré de satisfaction des besoins, l’appréciation subjective de satisfaction à l’égard de la vie vécue dans ses différentes composantes… De même, la mesure de la croissance du pouvoir d’achat, qui dépend de façon cruciale de la manière de mesurer la dynamique des prix, doit laisser place à l’évaluation de l’évolution du pouvoir de consommation qui passe par l’utilisation d’un « indice du coût des fonctions » en lieu et place de l’actuelle indice des prix à la consommation dont la véritable vocation est d’évaluer la dépréciation de la monnaie[6].

 

Notre propos s’est ici concentré sur ce qui constitue le cœur d’une économie capitaliste : l’activité productive des entreprises ordinaires et leurs interactions avec les consommateurs. Il va de soi qu’une économie des effets utiles peut et doit s’appuyer sur une base plus large qui englobe les services publics, les mondes associatifs, les réseaux sociaux qui se forment grâce à Internet, voire les aménités associées au tissu urbain, au paysage… Cette élargissement de la perspective est d’autant plus nécessaire que passer d’une logique dominante de vente de produits à une logique d’apport d’effets utiles et de solutions suppose en général une démarche systémique, impliquant la combinaison des apports d’une grande diversité d’acteurs, gage notamment de l’internalisation des externalités mais aussi, parce que la mobilisation de ressources non marchandes peut constituer l’un des piliers de la viabilité des modèles économiques d’entreprise à bâtir.  C’est ce dont témoigne par exemple la mise en œuvre des solutions de mobilité du type de Vélib’ ou Autolib’.

 

Le risque, évidemment, est que les entreprises recherchent les clés de la croissance et de la rentabilité dans la mainmise sur  ces ressources non marchandes, dans la création de formes d’emprisonnement des personnes et de leurs ressources dans une relation marchande étendue et diffuse, susceptible de s’insinuer jusque dans l’intimité… C’est la raison pour laquelle le travail de refondation institutionnelle qui doit accompagner la mise en place d’un nouveau régime de croissance ne peut se contenter de mesures techniques. Elle doit viser la définition de nouveaux compromis entre l’ensemble des acteurs de la société. A défaut de pouvoir sans doute contenir les forces du capitalisme dans leur tentative de s’insinuer dans chaque espace susceptible de contribuer à l’objectif de croissance et de profit, c’est à l’édification négociée de digues et de canaux domestiquant cette énergie dans le sens du bien commun qu’il est urgent de s’atteler.



[1] Par effets utiles, nous entendons les effets de tous ordres qu'une offre est susceptible de produire sur ceux qui la consomment. Il peut s'agir de l'utilité directement retirée de la fonctionnalité de l'offre, mais aussi de l'ensemble des bénéfices associés à sa valeur immatérielle. Autrement dit, les effets utiles peuvent-être des effets… futiles ! Ils peuvent être directs pour le consommateur, ou indirects dans le sens où ils affectent la société dans son ensemble, comme dans le cas des atteintes à l'environnement (effets utiles négatifs).

[2] Actuellement, les consommateurs arbitrent entre les offres concurrentes sur la base du rapport entre des effets utiles anticipés (très imparfaitement appréhendés sur la base des informations disponibles) et le prix. Le prix ne représente pourtant qu’une des composantes de l’ensemble des coûts que le consommateur doit consentir pour accéder au potentiel d’effets utiles associé au produit. Une évaluation du coût d’usage complet doit intégrer les consommations nécessaires de produits complémentaires (carburant pour la voiture, cartouches d’encre pour l’imprimante, consommation d’eau et d’électricité pour le lave-linge…), la durée de vie pour les biens durables, voire le coût de ses ressources propres que le consommateur doit engager pour produire les effets utiles attendus (déplacement, travail d’installation, de mise en œuvre, d’entretien…). Une telle évaluation du coût d’usage confirmerait que, bien souvent, le moins cher n’est pas le moins coûteux.

[3] En marketing, l’expression « valeur client » désigne le rapport entre les bénéfices de tous ordres associés à une consommation donnée (les effets utiles) sur l’ensemble des coûts que le consommateur doit engager pour y accéder (le coût d’usage complet).

[4] Enquête Ethicity-Ademe, mars 2011.

[5] « Etendre la garantie sur les biens de consommation à 10 ans », Le Monde.fr, 3 mai 2010.

[6] Pour une présentation de la philosophie de l’indice du coût des fonctions, voir Moati Ph. Rochefort R., Mesurer le pouvoir d’achat, Rapport du Conseil d’Analyse Economique n° 93, La Documentation Française, paris, 2008.

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P
J'apprécie votre blog, n'hésitez pas a visiter le mien.<br /> Cordialement
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