Le consumérisme tel que nous le connaissons aujourd’hui est encore très fortement imprégné du contexte fordien de l’époque qui l’a vu naître. Il est encore basé sur les bases de la société industrielle des « 30 Glorieuses », où la consommation porte essentiellement sur des biens matériels, tangibles. Pour preuve, la plupart des tests que l’on trouve dans journaux consuméristes sont axés sur des produits matériels et assez peu sur les services, et encore moins sur la notion de « service rendu ». Or dans le capitalisme de l’immatériel dans lequel nous rentrons, les problématiques de l’évaluation vont devenir capitales : comment évaluer les risques et la valeur-client dans une économie de services dont l’offre sera de plus en plus immatérielle, spécifique et personnalisée, comme l’aide à la personne par exemple ? Plus l’économie deviendra immatérielle, plus les dispositifs d’évaluation deviendront complexes à mettre en oeuvre.
Avec le développement de l’économie de services, il faudra également apprendre à se débarrasser du produit en tant qu’objet central de l’activité économique et nœud de la relation entre l’offre et de la demande. J’ai le sentiment que nous apprêtons à basculer dans un autre paradigme, dans lequel le produit ne sera plus que le médiateur de quelque chose de bien plus fondamental, que l’on pourrait appeler les « effets utiles » ou les « outcomes ». En d’autres termes, les consommateurs deviendront de plus en plus attentifs à ce qui leur procure de l’utilité, du bien-être. Sans doute l’ont-ils d’ailleurs toujours été mais le « fétichisme de la marchandise » qui caractérise le capitalisme industriel a introduit une confusion entre la fin et les moyens. Vélib donne une parfaite illustration de ce nouveau type d’échange où c’est bien le service rendu – un effet utile de mobilité urbaine – qui constitue la valeur de l’offre : celle-ci dépasse largement la vente d’un vélo. Outre qu’un tel modèle peut se révéler particulièrement efficace dans la satisfaction des besoins et être porteur d’un avantage concurrentiel pour les entreprises qui le mettent en œuvre, il se révèle en cohérence avec l’impératif de durabilité. Dans l’exemple de Vélib, l’entreprise, qui gère le dispositif reste propriétaire des moyens. Il est donc dans son intérêt de les penser pour qu’ils durent. Ramenée au nombre de kilomètres parcourus, l’économie de matières est considérable par rapport à un équipement individuel et, finalement, plus pratique pour le consommateur qui dispose en tout lieu et à tout moment d’une bicyclette, dont il n’a pas à se soucier de l’entretien. Bilan : on améliore la satisfaction du besoin et on économise des ressources.
Dans ce nouveau contexte, le mouvement consumériste à un véritable rôle à jouer, à condition de se réinventer. Il lui appartient de contribuer à l’émergence de nouveau dispositif d’évaluation de l’immatériel, des services, des « solutions » proposées aux consommateurs, des effets utiles produits… Il doit aussi peser sur l’évolution de la protection du consommateur face à des systèmes d’offre qui, sous couvert de mieux le servir, auront tendance à le rendre captif de sa relation avec les prestataires.
Il ne faudra d’ailleurs pas tarder car les grandes entreprises prennent les devants. Souhaitant rester maîtresses du jeu, elles préfèrent être à l’initiative de la contrainte plutôt que de la subir. Elles jouent d’ores et déjà un rôle très actif dans l’élaboration de dispositifs d’évaluation au travers de la normalisation, de la labellisation, de la certification… Simultanément, les consommateurs, plus éduquées, plus autonomes et mieux outillés, innovent en la matière en procédant à la mutualisation d’expériences, sur Internet en particulier. Si elles n’y prennent pas garde, les associations de consommateurs peuvent être dépossédées de certaines de leurs prérogatives à un moment charnière de l’histoire où leur action est sans doute plus indispensable que jamais.
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