Ci-dessous le texte d'un interview que j'ai donné à l'Ujjef - Communication et Entreprise, mise en ligne sur son site sous le titre "l'économie de l'immatériel change radicalement la philosophie de la communication et sa mise en pratique".
Philippe Moati : L'économie (ou le capitalisme) de l'immatériel est une expression qui entend mettre en avant deux aspects fondamentaux du capitalisme contemporain :
- Le premier pilier est l'importance de la connaissance.
Si elle est fondamentale pour se différencier, elle est aussi essentielle pour créer du nouveau. Une entreprise ne peut donc se passer d'elle et doit veiller à la nourrir de différentes manières : par le développement de ses compétences "cœur de métier", l'adoption d'une organisation apprenante, la capacité d'absorber les ressources cognitives externes...
- Le deuxième pilier de cette économie est la dimension servicielle. Peu à peu, la transaction commerciale symbolisée dans le capitalisme industriel par la transmission d'un droit de propriété sur un bien laisse place à une approche nettement plus relationnelle et servicielle. Le rôle du "prestataire" devient autre : il va devoir trouver la solution au problème de son client et générer pour lui des effets utiles.
Philippe Moati : Dans le passé, la marque était apparentée à des produits auxquels elle ajoutait une dimension symbolique différenciatrice. Peu à peu, les marques se transposent du produit à l'entreprise dans sa globalité. D'une certaine manière, leur champ d'action s'étend au-delà de la valeur symbolique pour répondre à des aspirations et des demandes psycho-sociales éminemment plus larges. La marque joue le rôle d'agrégateur, elle représente la philosophie de l'entreprise, ses valeurs, et pour ses consommateurs, le rattachement à une communauté d'idées, voire un lien social. La consommation a pris une telle importance dans le fonctionnement des sociétés occidentales que la dimension sociétale des marques s'est considérablement renforcée. Il leur faut donc se positionner clairement et sincèrement sur un système de valeurs dans lequel leurs clients seront susceptibles de se reconnaître.
Philippe Moati : Devant des consommateurs plus avertis des rouages économiques, la marque doit représenter un signal compact et global. Alors que celle-ci a largement contribué au développement d'une consommation "déceptive" qui a conduit à ce qu'elle soit aujourd'hui en crise, elle doit recréer une relation de confiance avec les consommateurs. Outre la sincérité, cela passe par une logique d'engagement dans la nature des effets utiles qu'elle se propose de fournir à ses clients. En ce sens, elle ne doit pas simplement viser à séduire les consommateurs pour les amener à acheter ; elle doit être un soutien crédible et fiable dans l'acte de consommation par l'apport d'une valeur d'usage fiable et adaptée aux besoins.
Philippe Moati : Le modèle centré sur la vente de produits, soutenue par une marque concentrée sur la stimulation du désir, me paraît à bout de souffle, et les entreprises qui lui restent fidèles auront de plus en plus de difficultés à s'extraire d'une concurrence féroce destructrice de valeur. La marque peut apporter une contribution active à la valeur immatérielle de l'entreprise à condition que celle-ci ait globalement changé de modèle, qu'elle adopte une véritable "orientation-client" et qu'elle se donne pour mission de produire des effets utiles et des solutions pour ses clients. Alors, la contribution de la marque à la valeur de l'entreprise passe par la légitimation d'un périmètre d'activité, l'évocation d'un registre de valeurs, et l'engagement dans la relation avec ses clients - au-delà de l'achat - dans l'acte de consommation.
Philippe Moati : Cela change radicalement la philosophie de la communication et sa mise en pratique ! Même si son but sera toujours de donner envie d'acheter, elle ne pourra plus utiliser les mêmes arguments. Elle devra forcément prendre en compte le déplacement de l'intérêt du consommateur qui ne portera plus sur le produit en tant que tel mais sur les effets utiles de toutes sortes qui découlent de son usage. Le moment de consommer deviendra l'heure de vérité. Une des missions de la communication sera par conséquent d'engager et d'entretenir une relation de confiance avec les consommateurs, nouée autour de la mission que se donne l'entreprise pour servir ses clients.
Philippe Moati : Les effets sur la communication seront les suivants :
1. Créer un contenu clairement informatif : ne pas se contenter de rester sur l'apparence des choses mais s'engager concrètement sur la nature des effets utiles. Pour apporter des solutions sur mesure aux consommateurs, il s'agit désormais de révéler l'invisible. Un énorme travail d'évaluation et de normalisation sera préalable à toute communication : évaluation et qualité des produits, potentiel de réponses aux problèmes des clients...
2. Entrer dans une logique servicielle : cela n'est possible qu'à partir du moment où le consommateur accepte de se livrer et de confier ses problématiques à l'entreprise. C'est ainsi qu'il se rend volontairement captif ! Etablir une telle relation de service demande du temps et de la confiance. Rien de pire dans un tel schéma qu'une déception !
3. Pour ce qui est de la dimension symbolique de la marque, l'ancrer dans un système de valeur cohérent avec la mission de l'entreprise et qui témoigne, là aussi, d'un engagement sincère.
Philippe Moati : D'abord, vouloir rendre le consommateur captif sans soi-même s'engager dans une relation honnête où le dialogue est réellement privilégié... Ensuite, pratiquer l'autisme qui consisterait à générer une relation non fondée sur l'écoute réelle du consommateur ; enfin, engager des budgets colossaux en marketing et communication uniquement pour se faire entendre, se démarquer de son rival, et stimuler un désir éphémère.
Autrement et simplement dit, la marque doit être utile.