Point de vue publié dans Le Monde.fr le 3 mai 2010
La consommation a été le parent pauvre du Grenelle de l’environnement. Après l’abandon de la taxe carbone, le Grenelle s’incarnera pour les consommateurs principalement au travers de l’étiquetage environnemental qui devrait entrer en vigueur en 2011. C’est significatif, mais c’est peu, alors que les actions dans le champ de la consommation ont une portée symbolique forte et que les Français, comme les enquêtes le montrent, aspirent à « consommer mieux ». Le modèle de consommation hérité du capitalisme industriel est dans l’impasse. Le transformer exigera que les consommateurs fassent l’apprentissage de nouveaux comportements et que les entreprises qui cherchent à satisfaire leurs attentes changent leurs modèles économiques. Un processus long et complexe qui doit être engagé sans attendre et qui suppose un déplacement du cadre institutionnel.
Il est peut être temps de mettre en discussion une vieille revendication du mouvement consumériste : l’allongement de la durée de garantie sur les biens de consommation. D’une durée légale d’un an, la garantie du fabricant pour les biens durables pourrait être allongée – par paliers – à 10 ans. Dans le même mouvement, le principe de la garantie pourrait être étendu aux biens semi-durables, tels que les vêtements et les chaussures, qui en sont aujourd’hui exclus. Assortir la mise d’un produit sur le marché d’une garantie du fabricant d’une durée significative participerait d’un travail d’ingénierie institutionnelle visant à favoriser la transition vers un modèle de consommation « qualitatif », dont le fondement réside moins dans l’achat de produits que dans l’obtention « d’effets utiles » pour le consommateur. Expliquons-nous.
Qui n’a pas fait l’expérience d’un appareil électroménager frappé d’une panne fatale après seulement quelques années d’utilisation ? Étant donné le prix de la réparation, l’appareil est alors remplacé pour un nouveau dont la durée de vie risque d’être plus courte encore. Sur des marchés de renouvellement, le chiffre d’affaires dépend négativement de la durée de vie des produits… Cette logique économique, source de déception pour les consommateurs, conduit à un gaspillage de ressources devenu inacceptable. Allonger substantiellement la durée de la garantie du fabricant incitera ce dernier à revoir la conception de ses produits car, à défaut, il risquerait de se ruiner en interventions de dépannage. Des produits plus fiables, à la durée de vie plus longe, conçus pour en faciliter la maintenance… sont évidemment des produits plus vertueux sur le plan environnemental.
L’allongement de la durée de la garantie peut être également pensé comme une mesure de politique industrielle. Les importations de produits bas de gamme pourront difficilement assumer le coût d’une telle obligation. Les industriels européens trouveront là de quoi desserrer une concurrence destructrice et valoriser leurs atouts sur le plan de la qualité et de l’innovation. Pour être en mesure d’assurer la garantie, ils devront à leur tour exiger de leurs fournisseurs des composants de qualité. Le risque d’un effet négatif sur l’emploi lié à la baisse des quantités produites se trouverait contrebalancé par les créations d’emplois (non délocalisables) dans le champ de l’entretien et de la réparation.
On pourrait opposer qu’une telle mesure provoquerait l’augmentation des prix. Il convient cependant de souligner les conséquences de la non qualité sur le pouvoir d’achat (en particulier des plus modestes, souvent condamnés au bas de gamme) : en la matière ce qui importe en réalité est le coût complet de satisfaction d’un besoin, qui fait intervenir le prix des produits bien sûr, mais aussi le coût des consommations annexes (énergie, consommables…) et la durée de vie du produit. C’est la raison pour laquelle le moins cher n’est pas toujours le moins coûteux. Inciter à l’amélioration de la qualité pourrait réduire le coût d’usage sur la durée de vie du produit. Le problème devient alors un problème de financement de l’accès aux effets utiles Les sociétés de crédit à la consommation, en quête de légitimité, auront ici à inventer des formes de financement de la qualité, par exemple des crédits qui s’étendent sur toute la durée de la garantie. Les fabricants pourront tester des formules proches de la location. On aura alors fait un grand pas en direction d’une économie de la fonctionnalité, où l’on paie un usage davantage que l’acquisition d’un droit de propriété, où la vente de services se substitue à la vente de biens. Constituer une étape dans un processus devant conduire au découplage entre la croissance de la consommation et la consommation de ressources, ne serait pas la moindre des vertus de cette mesure simple, à forte portée symbolique.