Nous apprenions cette semaine qu’Auchan ouvrira fin mars, dans la région de Mulhouse, un premier hypermarché à l’enseigne Priba, positionné hard-discount. Le hard-discount est désormais bien installé en France, mais sur des formats de petits supermarchés dont l’essentiel du chiffre d’affaires est réalisé dans l’alimentaire. Le modèle économique est-il transposable sur 9000 m2 proposant plusieurs dizaines de milliers de références couvrant l’alimentaire et le non-alimentaire ? Le groupe Casino a tenté l’expérience il y a quelques années avec l’enseigne Géant Discount, avec des résultats peu concluants, si l’on en juge en particulier par l’état du déploiement de l’enseigne. Auchan saura-t-il mieux que Casino inventer l’hyper-hard discount et contribuer ainsi à repositionner un format une crise ? L’histoire le dira. En attendant, on ne peut qu’être frappé par ce rappel d’un grand classique de la socioéconomie des organisations : quand les géants sont ébranlés, quand ils commencent à douter, leur premier réflexe est de renouer avec les recettes qui ont fait leur succès…
Le site Le Post m’a demandé de réagir à l’initiative d’Auchan. Ci-dessous, le texte de l’interview.
Le Post, Philippe Moati, professeur d'économie à Paris VII et directeur de recherches au Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) explique ce que cette inauguration a de "pertinent" mais met en garde contre "un rush vers le tout discount".
L'ouverture d'un hypermarché discount par Auchan, c'est une bonne nouvelle ?
"Oui. C'est en partie une réponse à la crise que connaissent les hypermarchés. Quand le format a été lancé dans les années 1960, il était parfaitement en phase avec la société du moment. Il s'agissait d'un concept 'attrape-tout' qui proposait tous les produits et qui visait tous les clients. C'était le magasin universel qui ciblait la classe moyenne."
Plus maintenant ?
"Non. Désormais, la 'classe moyenne' ne veut plus dire grand chose. Chaque consommateur est individuel, à des envies particulières, différentes de celles de son voisin, même s'il fait partie de la même tranche de revenus. Il faut donc des offres segmentées qui correspondent aux attentes des différentes sous-populations, ce qu'on appelle le commerce de précision. Et le discount est une de ces offres... mais seulement une parmi plusieurs."
Le discount n'est donc pas la panacée ?
"Le low-cost est un commerce de précision qui cible les gens sensibles aux prix, soit parce qu'ils sont fauchés soit parce qu'ils ne sont pas sensibles à l'origine ou à la qualité du produit qu'ils achètent. Ces clients sont assez mal servis par les hypermarchés traditionnels. Mais ils ne représentent qu'une partie de la population... Le hard-discount, c'est 14 à 15% de parts de marchés en 2009. Et il n'atteindra jamais plus de 20%, comme grand maximum..."
Ce serait donc une erreur que les groupes de grande distribution se lancent dans le hard-discount ?
"Non. C'est une réponse pertinente à l'hétérogénéité de leur clientèle. Mais je crains qu'ils pensent avoir trouver leur salut dans cette solution, qu'ils se jettent dans le rush vers le tout discount. Ce serait une erreur de ne se spécialiser que sur la compétitivité-prix."
Dans quelles directions les hypermarchés peuvent-ils se spécialiser alors?
"Il faut penser à d'autres concepts pour répondre aux attentes des autres groupes de consommateurs. Certains sont sensibles à la qualité des produits et à leur origine, on peut leur proposer des concepts bios. C'est ce que font les magasins spécialisés comme Biocoop ou Naturalia..."
Les grandes surfaces aussi...
"Oui, elles commencent à comprendre et proposent des rayons spécifiques: un coin bio, un coin hallal, des rayons discount... Ca limite l'érosion de leur fréquentation. C'est ce que j'appelle la 'stratégie du couteau-suisse', on propose un peu de tout sur le même lieu. Mais faire se cotoyer les différentes populations dans le même magasin, ce n'est pas évident. La solution, c'est de segmenter le format. On crée une nouvelle enseigne par nouveau concept. C'est ce que fait Auchan avec Priba: un nouveau nom, un nouveau magasin. Mais penser à ce concept discount, ce n'était pas le plus difficile..."
Qu'est-ce qui pourrait être plus révolutionnaire ?
"Beaucoup de consommateurs ont envie de consommer autrement: moins, mieux... L'économie de la qualité se met en place, pour répondre à la crise écologique. Et ce tournant là doit être pris. Les groupes de la grande distribution sont aux premières loges et ce sont des pragmatiques donc ils s'y mettront."
"Mais pour changer la donne, il y a 3 facteurs : les consommateurs qui peuvent changer radicalement leurs modes de consommation, l'arrivée d'un nouvel acteur qui arrive avec un nouveau concept et bouscule tout et l'évolution de la règlementation qui est déjà à l'oeuvre, avec par exemple l'obligation d'afficher le bilan carbone des produits sur l'emballage ou la mise en place de nouvelles contraintes en terme d'urbanisme..."
(Source: Le Post)
A lire sur LePost.fr:
- La vie Auchan des fauchés
- Que dit l'oiseau d'Auchan alors que le groupe se lance dans le supermarché discount avec Priba?
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