Philippe Moati - Article publié dans L'Expansion, Les Cahiers du Management, n° 710, juillet-août 2006, p. 151.
Deux événements du premier semestre 2006 pourraient bien marquer un tournant dans la grande distribution alimentaire : l’annonce par Carrefour d’un redressement significatif de ses résultats et le lancement par Casino du Marché de Casino. Les doutes qui planaient sur l’avenir de la distribution alimentaire française se seraient-ils dissipés ? Depuis le début des années 2000, pour la première fois de leur histoire, hypers et supers piétinent sur le marché national : ils perdent des parts de marché, quand ils ne voient pas leur chiffre d’affaires reculer. Les marchés financiers ont été rassurés par la reconquête amorcée par Carrefour, alors que s’essouffle la croissance du hard-discount. Aurait-on réussi à stopper la « roue de la distribution », supposée sanctionner les distributeurs qui s’embourgeoisent et, par là, assurent le succès des nouveaux barbares agressifs sur les prix ?
Hypers et supers ont manifestement souffert d’un handicap de prix face au hard-discount. Il faut reconnaître qu’il ont su, avec la complicité des fournisseurs, exploiter les failles de la loi Galland (et profiter du passage à l’euro…) pour doper leur rentabilité au détriment des consommateurs… qui leur ont bien rendu ! Du coup, la réaction des distributeurs s’est concentrée, pour l’essentiel depuis 2004, sur la restauration de leur compétitivité-prix. Avec, apparemment, un certain succès.
S’il s’agissait là d’une condition nécessaire de leur rebond, il est douteux que ce soit une condition suffisante. Les racines du mal sont plus profondes. Le fait que les hypers continuent d’être à la peine dans le non-alimentaire, où la concurrence des formules à prix bas reste modeste, invite à la réflexion. Ce dont souffre la grande distribution alimentaire est de n’avoir pas su remettre en cause une formule issue des trente glorieuses, du fordisme et d’une société de masse, en dépit de la profondeur des changements intervenus au fil des décennies. Le véritable défi est de faire évoluer le modèle afin de l’adapter aux modes de vie d’une société devenue hypermoderne, centrée sur les personnes, et d’entrer de plain-pied dans l’économie post-fordienne à orientation servicielle. Autrement dit, au lieu de compromettre la rentabilité pour tenter de conserver la clientèle des 20 % des consommateurs les plus sensibles au prix, il conviendrait de réfléchir aux moyens de créer de la valeur en maximisant la satisfaction des 80 % restants.
Intervient ici le deuxième événement d’actualité : le lancement du Marché de Casino qui témoigne de la montée d’un nouveau souffle innovateur : sur plus de
Alors que le spectre d’un scénario à l’allemande (un hard-discount à 35 % de part de marché) semble s’éloigner, le landerneau de la distribution française lorgne du plus en plus du côté de de
* Professeur d’économie à l’université Denis Diderot (Paris 7), directeur de recherche au CREDOC, auteur de L’avenir de la grande distribution (O. Jacob éd.).