Chronique, L'Usine Nouvelle, n°3155-3156, 9 juillet 2009
Le projet de loi sur l’ouverture des commerces le dimanche va enfin sortir de l’impasse dans laquelle il se trouvait depuis plusieurs mois. Ce sont ainsi des années de polémique sur le travail dominical qui trouvent ainsi un terme (provisoire ?). Au final, il s’agit d’une réforme a minima, qui a pour principal mérite de mettre un peu d’ordre dans un maquis juridique qui devenait intenable. Ce que l’on retiendra de cette affaire sera surtout l’ampleur des débats qu’elle aura suscitée, adversaires et partisans se distribuant par-delà les lignes politiques habituelles. C’est que la question touche des cordes sensibles… Les études qui se sont efforcées de mesurer l’effet d’une libéralisation de l’ouverture dominicale des commerces sur l’emploi, la croissance, le niveau des prix… ont abouti à des résultats contrastés. Elles convergent cependant sur un point : positifs ou négatifs, ces effets sont modestes, voire négligeables. La libéralisation n’est donc pas une question économique, mais une question de société. Et c’est précisément pour cela qu’elle a déchaîné les passions. Intéressons-nous à ce qu’en pensent les Français, au travers des résultats d’une enquête que nous avons réalisée au Crédoc, durant l’automne 2008*.
C’est l’image d’une France divisée qu’offrent les résultats de cette enquête. Une courte majorité de Français (52,5%) est favorable à l’ouverture dominicale. Pourtant, l’analyse approfondie des résultats suggère que ce constat ne témoigne pas d’une aspiration profonde à voir les magasins systématiquement ouverts le dimanche. Il semble, en effet, que nombre des personnes ayant exprimé une opinion favorable l’aient fait surtout en raison de l’absence de motifs forts d’opposition à la levée de ce qui peut apparaître comme une restriction de la liberté des consommateurs et des commerçants. Davantage en tout cas que comme la revendication de pouvoir se livrer à une activité personnellement souhaitée en raison des bénéfices attendus. De manière significative, les opposants sont plus déterminés que les partisans (28,1% de « très défavorables », contre 20,5 de « très favorables »).
Paradoxalement, 80% des Français considèrent qu’il est important que le dimanche reste un jour pas comme les autres et presque autant qu’il doit rester un jour où la plupart des gens ne travaillent pas. Pourquoi alors réclamer l’ouverture dominicale des commerces ?
Pour les personnes qui se plaignent de manquer de temps, c’est en vue de disposer d’un degré de liberté supplémentaire pour l’organisation de la vie quotidienne ; pour les autres, c’est le désir de pouvoir se balader dans les magasins le dimanche qui domine. Enfin, le consommateur ne pense pas comme le salarié : seuls 39% des actifs se déclarent prêts à travailler régulièrement le dimanche. Les personnes disposées à le faire sont cependant majoritaires chez les demandeurs d’emplois.
Ces résultats illustrent les tensions traversant la société française : d’un côté, on voit là une manifestation de la société d’hyperconsommation, marquée par le désir de pouvoir satisfaire ses désirs dans l’instant. De l’autre côté, se révèlent ici les résistances qu’exprime une partie du pays à l’égard de changements perçus comme remettant en cause des acquis sociaux et des valeurs. Des valeurs auxquels on est d’autant plus attaché que les mutations du monde sont perçues davantage comme des menaces, que comme des opportunités.
*Philippe Moati, Laurent Pouquet. L’ouverture des commerces le dimanche: opinions des Français, simulation des effets. Cahier de recherche, Crédoc, n° 246.