Chronique publiée dans L'Usine Nouvelle, n° 3151, 11 juin 2009.
L'ouverture très médiatisée de la nouvelle mouture de l'hypermarché Carrefour de la Porte d'Auteuil à Paris a relancé la polémique sur la modernisation du passage en caisse et le risque qu'elle fait peser sur l'emploi des caissières. En test depuis plusieurs années, le self check-out[1] et le self scanning[2] bénéficient d'un déploiement accéléré. Il y a un an, à Rennes, un hyper Intermarché dévoilait une ligne de 50 caisses dont 40 équipés d'automates. En janvier, Carrefour annonçait qu'il entendait déployer entre 1000 et 1500 automates en deux ans. Favorisée par l'arrivée à maturité des technologies et la banalisation progressive de ces dispositifs auprès des consommateurs, cette accélération est surtout à mettre sur le compte de l'urgence qu'il y a à réduire les coûts dans le contexte actuel de déprime de l'activité et d'exacerbation de la concurrence par les prix.
On s'inquiète, bien sûr, pour les emplois des quelque 130 000 caissières. Les simulations que nous avons réalisées au CRÉDOC indiquent que la combinaison d'une mauvaise conjoncture et d'un déploiement accéléré des nouveaux dispositifs d'encaissement pourrait conduire à réduire de près de 40 000 postes l'emploi dans le commerce alimentaire à l'horizon 2015. Une rupture pour un secteur qui, jusque là, a toujours été créateur d'emplois. Le débat est engagé. Faut-il s'émouvoir de la disparition d'emplois pourtant si longtemps décriés pour leur pénibilité ?
Rappelons que les gains de productivité sont le principal moteur de la croissance économique. L'histoire est riche d'épisodes au cours desquels les travailleurs se sont révoltés contre un progrès technique perçu comme une menace sur l'emploi. Et pourtant, depuis la révolution industrielle, le nombre d'emplois est en croissance tendancielle continue et le niveau de vie des salariés s'est amélioré de façon spectaculaire. On oublie trop souvent que, malgré le chômage de masse, l'économie française compte aujourd'hui près de 25 % d'emplois de plus qu'en 1970. Le mécanisme qui lie les gains de productivité à la croissance est bien connu. Les gains réalisés dans un secteur en particulier permettent la baisse des prix de ses produits. Les gains de pouvoir d'achat ainsi réalisés permettent d'accroître la demande globale, ce qui profite en particulier aux secteurs qui s'adressent aux besoins non satisfaits de la population. C'est ainsi, à grands traits, que le développement de l'industrie s'est en partie bâti sur les gains de productivité de l'agriculture et que l'expansion des services se nourrit de ceux de l'industrie. A leur tour, grâce aux nouvelles technologies, les services améliorent leur productivité. Où irons donc se déverser le pouvoir d'achat et les emplois ainsi libérés ? A moins d'admettre que les besoins sont saturés et que les entreprises sont devenues incapables d'innover, de nouvelles activités prospéreront et créeront des emplois. Le véritable problème est qualitatif. Les services, et la grande distribution en particulier, vont détruire de l'emploi peu qualifié, celui qui déjà a été mis particulièrement à mal dans les secteurs exposés à la concurrence internationale. L'immensité des besoins en matière de services à la personne indique qu'il y a ici un gisement considérable d'emplois potentiels. Les gouvernements successifs ne s'y sont pas trompés. Malgré la crise et l'effort d'assainissement des finances publics à venir, l'effort en direction de ces emplois doit être intensifié, non seulement par la solvabilisation de la demande, mais aussi par la professionnalisation des emplois. Pour que « service » ne soit pas vécu comme « servitude », mais aussi pour que l'on n'en vienne pas à regretter ce bons vieux temps où les caissières jouaient les OS du commerce.
[1] Le client utilise une caisse en libre service.
[2] Equipé d'une douchette, le client scanne chaque produit au moment où il le dépose dans son caddy et règle à la sortie.