Il est décidemment bien difficile de déceler une quelconque tendance dans les statistiques relatives à la consommation. Il y a peu, l’INSEE annonçait une bonne nouvelle : les achats de produits manufacturés des ménages ont progressé de 1,1 % en volume en mars. Malheureusement, ce chiffre fait suite à une baisse de 1,8 % en février, qui elle-même succédait à une hausse de 1,7 % en janvier. Les données désagrégées sont plus instables encore. Dans l’habillement, selon l’IFM, le succès des soldes a permis d’enregistrer une croissance de 2,9 % en janvier 2009 par rapport à janvier 2008. Mais février s’est révélé catastrophique avec une chute de près de 15 %. En mars, le marché est de nouveau orienté à la hausse (+3,3%). Les soldes flottants, massivement utilisés en avril, devraient porter les chiffres de ventes. Mais déjà les professionnels anticipent un retour à la normale difficile…
Cette instabilité témoigne de l’importante versatilité des comportements de consommation en ces temps troublés. Elle résulte sans doute pour une large part de l’existence d’une tension entre deux attitudes contradictoires vis-à-vis de la consommation. La première consiste à continuer d’ « hyperconsommer ». Paradoxalement, la crise favorise l’hyperconsommation en contribuant à la perte de sens généralisée qui fait que la consommation, pour beaucoup, remplit le vide, offre les petits plaisirs qui aident à tenir, ouvre des espaces de régression et de compensation… Mais à mesure que la crise se répand, l’hyperconsommation doit composer avec une contrainte budgétaire qui se resserre. D’où les arbitrages entre produits et entre circuits : on s’impose des restrictions, on accepte de descendre en gamme sur les biens et les services banals ou juste nécessaires afin de dégager des marges de manœuvre pour continuer à s’adonner aux consommations plaisirs, aux achats impliquants. Pour tirer plus d’un pouvoir d’achat en berne, on se transforme en chasseur de bonnes affaires : on achète en solde, en exploite les promos, on traque les ventes privées…
Cette inclinaison à l’hyperconsommation entre en tension avec une seconde attitude : l’adoption d’une posture critique vis-à-vis de la consommation. Cette posture peut reposer sur une sensibilité aux problématiques du développement durable. Elle peut aussi, de manière plus individualiste, résulter d’une prise de conscience des limites de l’hyperconsommation, en particulier dans sa capacité à tenir ses promesses de bonheur et d’épanouissement personnel. La crise favorise également la diffusion de cette posture en contribuant à la décrédibilisation du système économique, en revalorisant les immatériels de rassurance qui trouvent un point d’accroche particulièrement pertinent dans la consommation responsable, en alimentant la défiance qui enfle à l’égard du monde des grandes entreprises et qui peut conduire à estimer que la consommation est pour une part excessive la conséquence de faux besoins créés par le marketing aux seuls fins d’accroître les revenus des actionnaires et des dirigeants, au mépris des défis de long terme que doit affronter l’humanité.
Cette tension, qui renvoie à des segments de population différents, se retrouve également en chacun de nous, à l’image de l’ange et du démon qui tour à tour emporte la décision. Il en résulte des comportements de consommation qui peuvent apparaître comme incohérents, qui oscillent d’une polarité à l’autre au gré des évènements. D’où cette difficulté à déceler les effets à moyen et long terme de la crise sur les comportements de consommation. Il appartient sans doute aux acteurs de l’offre de soulager cette tension en assurant la promotion d’un modèle de consommation positif, véritablement créateurs d’utilité et de plaisir, mais qui soit également respectueux de l’environnement et socialement responsable.