Chronique, L'Usine Nouvelle, n° 3143, 16 avril 2009
Les soubresauts de l’industrie automobile mondiale dépassent de beaucoup les conséquences directes de la crise. Ils nous rappellent que, par le passé, chaque grande crise a accompagné une transformation radicale du capitalisme. Le système économique et social qui émergera de cette crise sera sensiblement différent. Un autre secteur illustre - de manière moins catastrophique - la profondeur des transformations en cours : la distribution. La « révolution commerciale » du début des années 1960, qui a vu naître les grandes surfaces et les centres commerciaux, a incarné en son temps (comme l’automobile) la modernité. En pleine « 30 glorieuses », l’idéal de progrès renaissait des cendres de la crise des années 30, du totalitarisme, de la guerre, et de la Shoa. Désormais, les hommes avait acquis la maîtrise de la régulation économique, et le progrès technique devait garantir un sentier infini de productivité, de croissance et de bien-être. En transposant les méthodes de l’industrie fordienne, la grande distribution entendait apporter sa contribution à l’efficacité du système économique par l’optimisation des coûts de distribution et la démocratisation de l’accès à la société de consommation. Big était beautiful. Les « petits » commerçants se sont trouvés subitement ringardisés par la prolifération des « supers » et, plus encore, des « hypers »marchés. Les quartiers commerçants des villes ont été remplacés par des galeries marchandes et par des centres commerciaux régionaux. La surenchère au gigantisme a ainsi marqué l’histoire de la grande distribution.
Les premiers signes d’essoufflement du modèle ont été perceptibles dès le courant des années 1990, lorsque les performances des hypermarchés ont commencé à se gripper. Il aura fallu près d’une décennie pour que les responsables des groupes de distribution prennent conscience de la profondeur des mutations en cours. Il est désormais admis que l’hypermarché est un concept en fin de cycle de vie et, ici ou là, on commence à s’interroger sur le modèle du grand centre commercial tel qu’il s’est généralisé dans les années 1970. Au cours des états généraux du commerce qui se sont tenus en janvier dernier, c’est le thème de la « proximité » qui s’est trouvé au cœur des débats. Après voir été synonyme de périphérie, de gigantisme, de mobilité automobile… la grande distribution s’entiche de proximité. Au cours des derniers mois, l’énergie des acteurs du secteur s’est concentrée autour du déploiement de nouveaux concepts de petites et moyennes surfaces, généralement implantées en milieu urbain, et développant une vocation de proximité (Monop, U-Express, Chez Jean, Carrefour City…). Ils tentent de répondre ainsi à une tendance sociétale lourde : la perte d’attrait – souvent couplée à de la défiance – pour le gros, le moderne, l’impersonnel, le générique, et le goût retrouvé pour le petit, le proche, l’humain, le spécifique… Chômage de masse, réchauffement climatique, terrorisme, épidémies… ont fini par venir à bout du mythe du progrès et ont favorisé la diffusion de valeurs post-modernes que la crise risque fort d’accélérer. Cet engouement pour la proximité, affective autant que géographique, va bien au-delà du commerce. Citons en vrac : l’appétence pour le terroir, la sympathie qu’inspire le paysan voire le commerçant (pourvu qu’il soit petit), le développement des réseaux sociaux sur Internet mais aussi de voisinage, les craintes la mondialisation génère, la défiance dont la classe politique est l’objet mais qui épargne les élus locaux… La proximité, en outre, est « durable ». Les réponses qu’il faudra bien apporter au défi écologique accentueront immanquablement la tendance. Ce nouveau contexte constitue une opportunité pour les PME qui, par nature, incarnent une entreprise à visage humain loin des dérives de la finance et des rémunérations extravagantes, l’ancrage territorial et l’insertion dans une économie de proximité plus respectueuse de l’environnement.