Chronique, L'Usine Nouvelle, 13 novembre 2008.
Pour 84% des Français, la consommation est une nécessité. Selon l'enquête réalisée par le Credoc à la fin du mois de septembre, ils ne sont que 15% à considérer la consommation comme un plaisir. Ces chiffres sont remarquables. En 2005, face à la même question, 60,7%des Français optaient pour la nécessité et 35,7% pour le plaisir. Une rupture est peut-être en train de se produire dans les attitudes à l'égard de la consommation. Jusque-là, les ménages avaient adopté une posture paradoxale : ils étaient nombreux à ressentir une dégradation de leurs conditions de vie [1], mais la consommation se maintenait à un niveau étonnamment élevé : ni la crise du pouvoir d'achat, ni la dégringolade de l'indicateur du moral des ménages n'ont induit le relèvement du taux d'épargne que l'on pouvait attendre. L'appétit de consommer restait très fort, comme si l'on cherchait dans les petits plaisirs de la consommation l'antidote à la déprime. Le pouvoir d'achat -y compris dans les chiffres de l'Insee est désormais orienté à la baisse; la crise financière a apporté de nouveaux motifs d'inquiétude et de défiance.
A l'effet psychologique de la crise s'ajoutent des effets économiques classiques : la reprise du chômage va affecter le niveau de vie des ménages touchés ; le resserrement du crédit se traduit déjà par le redressement du coût de l'endettement ; l'effondrement de la valeur des actifs financiers et l'amorce de la baisse de celle des actifs immobiliers réduisent la valeur du patrimoine des ménages qui devront accroître leur épargne pour maintenir leur niveau de richesse... Tous les ingrédients sont réunis pour que la consommation, qui jusque là a soutenu la croissance de l'économie, cale à son tour. Les Français ont commencé de se serrer la ceinture. La consommation est atone depuis le début de l'année. Dans le champ de la consommation alimentaire, a priori peu sensible à la conjoncture, on note un repli vers les produits les moins chers, mais aussi la diminution des achats en volume. Les ventes d'eau en bouteille seraient en forte baisse. Une question essentielle est de savoir si ces comportements de crise sont annonciateurs de changement durable des attitudes à l'égard de la consommation. On ne peut exclure que, plutôt que de vivre ces restrictions uniquement sur le mode de la contrainte, certains fassent ainsi l'apprentissage d'une consommation «maigre» (à l'image du «lean manufacturing» bien connu dans l'industrie).
Après tout, beaucoup de consommateurs ont acheté pour la première fois des marques de distributeurs par nécessité, lors de fins de mois difficiles. La plupart sont restés clients de ces produits, même une fois la contrainte budgétaire desserrée, après avoir observé le niveau souvent remarquable de leur rapport qualité-prix. Les médias sont de plus en plus nombreux à relayer la découverte de l'économie du bonheur (la croissance de la consommation ne s'accompagne pas de la croissance du sentiment de bonheur) ; de plus en plus de Français sont sensibles aux effets de nos modes de vie sur l'environnement, la santé, etc. Cet épisode de crise sera peut-être, pour un nombre significatif d'entre eux, l'occasion de revoir la place que tient la consommation dans leur vie et d'adopter des comportements qui permettent de dépenser moins, sans nécessairement s'en sentir malheureux. Le tout est de ne pas sombrer dans l'idéologie de la décroissance, car il n'y a pas de capitalisme sans croissance. Le moment est peut-être venu, au contraire, de trouver un nouvel élan dans l'invention de nouveaux modèles de consommation, centré sur le bien-être des individus et le respect de l'environnement.
[1] En avril 2008, selon l'Eurobaromètre, 62% des Français estimaient avoir un niveau de vie inférieur à celui qu'ils avaient il y a cinq ans.