Ph. Moati, Chronique, L'Usine Nouvelle, n° 3119, 16 octobre 2008
Le film catastrophe de la crise financière n’est pas de nature à améliorer le moral des ménages. Après le terrorisme, les pandémies et le réchauffement climatique, beaucoup découvrent un nouveau risque majeur sur lequel nos régulations ont bien peu de prise. A l’angoisse s’ajoute la colère à l’égard d’une élite qui s’est enrichie sans vergogne et qui appelle aujourd’hui le contribuable au secours. Enfin, chacun s’accorde désormais sur la perspective d’une récession qui portera un coup sévère à la croissance du pouvoir d’achat. Le contexte est mûr pour que les « nouveaux comportements de consommation » se généralisent… En réalité, les Français n’ont pas attendu la crise financière : reprise de la croissance de la part de marché du hard-discount ; accélération du transfert des ventes des produits de grandes marques vers les marques de distributeurs ; succès des sites de prix cassés sur Internet… Nombre de consommateurs, convaincus depuis plusieurs années de subir une érosion de leur pouvoir d’achat, affichent une sensibilité accrue aux prix et semblent devenus des adeptes de « l’achat malin ».
Lorsque l’INSEE annonce une croissance de 3,3 % du pouvoir d’achat en 2007, une proportion significative de ménages ont en réalité subi un recul ; les plus pauvres ont été particulièrement vulnérables à la flambée des dépenses contraintes (les loyers, le chauffage, l’essence, l’alimentation…). La sensibilité aux prix dans les arbitrages de consommation est pour eux une réaction classique au durcissement de la contrainte budgétaire. Mais « l’achat malin » s’étend à d’autres catégories de ménages, dont la croissance du pouvoir d’achat - réelle à moyen terme - n’a pas été suffisante pour répondre à une appétence pour la consommation attisée par les nouveaux biens et services issus des NTIC. Satisfaire rapidement ses envies implique de dégager des marges de manœuvre en rognant sur les dépenses répondant à des besoins de base déjà largement satisfaits (les produits de grande consommation) et en recherchant systématiquement les « prix cassés » pour les produits plus impliquants. Une troisième catégorie de ménages – sans doute beaucoup moins nombreuse – adopte ce type de comportements plus économes mais comme conséquence d’une certaine prise de distance par rapport à la consommation. Prenant sans doute confusément conscience de ce que la fuite en avant dans la consommation n’est pas nécessairement synonyme d’épanouissement, ils se replient sur les attributs fonctionnels des produits et se rebiffent face aux surcoûts du marketing. Certains parmi eux nourrissent un discours critiques sur les limites de la société de consommation, en particulier quant à ses conséquences environnementales.
Quels qu’en soient les fondements, ces comportements de consommation sont susceptibles d’aggraver la récession. Dans son discours de Toulon, Nicolas Sarkozy a clairement exprimé l’impuissance du gouvernement sur le front du pouvoir d’achat. C’est aux acteurs des marchés de grande consommation – industriels et distributeurs – qu’incombent la charge de tenter de tirer la consommation vers le haut. Le niveau de revenu de la majeure partie de la population ainsi que l’importance du taux d’épargne dans notre pays témoignent de l’existence de marges de manœuvre. Concentrer le combat concurrentiel sur le seul terrain des prix encouragerait des comportements concourant au climat dépressif. L’option vertueuse consiste à renforcer le degré d’implication des consommateurs au-delà des produits hi-tech, en relançant l’innovation et en cultivant des territoires immatériels en phase avec les imaginaires de consommation d’aujourd’hui.